NURIL BASRI pour LE RAT D’ÉGOUT

 

 

 

NADIL RUSRI loupePhoto © Marita Adamsson

 

Nuril Basri, bonjour et bienvenue sur Regarts.org. Comment vous présenteriez-vous à nos lecteurs, qui ne vous connaissent pas encore ?

Bonjour Regarts.org, et merci de m'accueillir ! C'est un honneur et un plaisir. Je m’appelle Nuril, je suis un auteur indonésien et j’ai écrit plusieurs romans. Je viens d'un village de Java et je vis en Indonésie. (Je peux ajouter que je suis toujours célibataire ?)

Aux éditions Perspective Cavalière vient de sortir Le Rat d’égout « en exclusivité pour le public français », selon la couverture. Pouvez-vous nous raconter l'histoire de ce manuscrit ?

J’ai commencé Le Rat d’égout en 2019 et je l'ai terminé en 2020 sans intention de le publier. C’était quelque chose de très personnel, comme un « cadre » dans lequel conserver mes sentiments. Mais je suis un peu narcissique et forcément je l’ai fait lire à des gens que je connais, rien que pour le plaisir du rituel. Puis j'ai rencontré Étienne Gomez sur Twitter. Il venait de publier un entretien avec un de mes amis. Je me suis introduit dans ses MP, on s’est mis à discuter et un jour j'ai eu assez confiance en lui et j’ai décidé de lui envoyer le manuscrit. Je savais qu’il était éditeur mais je ne m'attendais pas à ce qu'il s'y intéresse. Alors, quand il m'a dit qu'il voulait le publier, ça m’a déconcerté. Il a mis un an à se décider, puis le contrat est arrivé et ensuite la traduction s’est faite rapidement. C’est un peu irréel, cette première publication en français, mais en fin de compte c’est bien aux lecteurs français qu’était destiné ce livre.

Ce livre écrit à la première personne est-il un roman ou une autobiographie ?

Le Rat d’égout est une autofiction, un genre assez nouveau pour moi alors qu’il a toujours été mon style et que je n'ai découvert que récemment qu’on l’appelait ainsi : c’est une fiction avec une base autobiographique, ou à partir d’événements réels qui m'ont touché.
Comment présenteriez-vous Le Rat d’égout au public français ?

C’est souvent un défi pour un écrivain que de devoir expliquer ses livres ! J'ai toujours laissé toute liberté aux personnes douées pour ça d’analyser mes œuvres. Il est toujours intéressant de lire ou d'entendre ce que d'autres ont à dire sur la signification de mes écrits. Je crois qu’Étienne vous renseignera mieux que moi là-dessus ! Certains diront que Le Rat d’égout raconte l'histoire d'un jeune écrivain homosexuel venant d’une banlieue pauvre de Jakarta, qui se heurte à un orientalisme feutré dans le monde occidental en même temps qu’il tombe amoureux d'un Blanc hétérosexuel bi-romantique. Mais pour moi, tout ce roman n'est peut-être rien d’autre qu'une lettre d'amour. Les gens peuvent toujours dire ce qu'ils veulent sur mon œuvre, c'est leur prérogative, et cela ne me dérange pas. Tout mon plaisir et mon travail consiste à les écrire, et les moments de l’écriture appartiennent à moi seul.
Qu'est-ce qu'un rat d'égout, selon vous ?

Un vilain rongeur, tellement coriace qu’il peut vivre dans les endroits les plus dégoûtants : là où les gens jettent leurs déchets.

Qu’est qui vous rapproche de Roni, votre personnage ?
J'ai une fausse carte d'identité au nom de Roni ! Je ne vous mens pas ! Je crois que Roni partage un peu ma mélancolie, même si je dois reconnaître qu'il est plus spirituel, plus critique et plus candide. Personnellement, je suis plutôt maladroit et timide.
Comment la jeunesse indonésienne peut-elle vivre son homosexualité aujourd'hui ?

En toute honnêteté, je ne peux pas parler pour tout le monde. L'Indonésie est un très grand pays, qui compte 270 millions d'habitants et 17 000 îles, et il existe de nombreuses communautés culturelles que je ne connais pas et avec lesquelles je n'ai jamais eu d'interaction. Mais je peux dire que dans le milieu d’où je viens, autrement dit dans la banlieue ouvrière d'une grande ville de Java, on fait encore face à beaucoup de persécution, de discrimination et de criminalisation dans un environnement homophobe – à chaque coin de rue. Jour après jour, on doit s’habituer aux propos blessants, ou à la façon dont les gens se moquent de nous en nous regardant du coin de l'œil. C'est très brutal et on doit constamment se cacher. Mais je trouve qu'avec la technologie, il est plus facile aujourd'hui de se rencontrer entre personnes partageant les mêmes idées.
La couverture fait allusion à Not A Virgin, qui n'est pas encore traduit en français. Pourriez-vous nous parler de ce livre ?

J'ai écrit Not A Virgin très jeune, il y a peut-être une douzaine d'années. L’histoire porte sur quatre jeunes hommes qui étudient dans un pensionnat islamique tout en travaillant dans un bar gay. Ce livre s’arrête sur les jeunes homosexuels de la classe ouvrière coincés dans la période où ce qu’on appelle le djihadisme islamique était en plein essor. Il n'est toujours pas publié aujourd’hui en Indonésie. Je pense que très peu d’éditeurs indonésiens ont assez de courage pour parler de cet aspect de la réalité. Not A Virgin a été étudié dans le programme d’études postcoloniales d’une université londonienne. Je me suis aussi amusé en écrivant la suite, sur de jeunes Indonésiens que leurs sugar daddies emmènent en Allemagne (des échantillons de traduction anglaise sont en cours).
Quelle est votre actualité d'auteur ? Qu'écrivez-vous en ce moment ? Avez-vous d'autres traductions en cours ?

Je viens de terminer la suite du Rat d’égout, qui s’intitule en anglais Happy Nation for the Prince of Pain, dans le cadre du projet Göteborg ville créative de l'UNESCO. Il raconte les aventures de Roni après Le Rat d'égout, avec un retour sur son enfance dans un village de Java et le récit de son périple de la Suède au Sahara.
Ce Roni du futur est-il toujours aussi ému par les chaussettes trouées d'Eliot?...

Ha ha ! Eliot projette une lumière différente dans ce roman. Il est là, mais il n'est plus vraiment là. The Prince of Pain se concentrera davantage sur le personnage de Roni et ses mésaventures. Eliot fait toujours partie de l'histoire, mais cette fois, pas de chaussettes !
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?

Qu’un vent me pousse bientôt en France pour que je puisse écrire un livre sur votre pays en mangeant tous les croissants que je veux.

Traduit de l’anglais par Étienne Gomez

Jean-Davy