Entête

PÔLES

 

Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017
Tél : 01 42 93 13 04

Jusqu’au 25 février 2022
Du jeudi au samedi à 21h
Dimanches à 14h30

 

Pôles loupe

 

 

Il y a la mémoire, dans laquelle l’individu puise des images, des sons, des odeurs, comme il visionnerait un film, comme il verrait un spectacle sur un plateau dressé dans son esprit, et comme dans tout spectacle, il y a les coulisses. Pôles semble se dérouler là, dans les coulisses, un peu à côté de l’action, avant, après ou ailleurs, dans les zones d’ombres, ce qui est enfoui, oublié, jamais révélé.

Pièce construite en brisures. Scènes courtes, langue ciselée, expression syncopée concourent à faire ressentir ce que les failles dans la mémoire peuvent provoquer. La trame principale tente de recréer l’histoire d’Alexandre-Maurice, un géant apathique qui ne se souvient pas du meurtre qu’il a commis sur sa mère vingt ans plus tôt. La choc en a effacé la trace. Mais cette trame n’est que la partie émergente de l’iceberg.

Le texte de Joël Pommerat, écrit début des années 2000, se déroule sur deux périodes à 20 ans de distance. Il dévoile, tout autour du personnage d’Alexandre-Maurice, une série de personnages dont le point commun semble l’échec.  Plus précisément de l’impossible velléité à faire, à réaliser. De cette puissance qui force tous ces êtres à rester suspendus au bord de leurs rêves, prêts à devenir quelque chose ou quelqu’un, de passer à l’acte. La pièce de Pommerat cogne contre le dogme de la réalisation de soi comme but de la vie. Elle met en lumière le filet qui retient, qui empêche, comme si se réaliser était en finir avec cet état de désir, se transformer et finalement laisser mourir ce que l’on était, cet embryon et devenir quoi ?

Ici le rêve reste à sa place. Et la mémoire grouille d’ombres.

L’histoire est celle à la fois de l’oubli et de la perte de soi. Le temps se dédouble, les personnages se dédoublent, et l’on survole le gouffre qui existe sur 20 années. Comme l’oiseau d’amnésie.

Avec cohérence, la scène est aussi peu aménagée que les coulisses dont je parlais au début. Les coulisses de la mémoire. Seuls les comédiens, tous extrêmement forts, puissants, charismatiques, animent ce lieu par leurs apparitions dans les différents personnages. Pour cette pièce, mise en scène avec une précision de chirurgien esthète par Christophe Hatey, le jeu de chaque scène puise à la fois à la plus grande quotidienneté et à l’étrangeté la plus intrigante. Chaque silence, chaque regard, parle et surprend car le travail des interprètes sous la direction du metteur en scène a pesé chaque mot, chaque rythme et inventé. C’est un vrai régal de voir aussi, dans un jeu qui ne se souille jamais d'évidence, les petites failles d’humeurs ou d’expression qui habite chacun de ces personnages, touchant par leurs échecs autant que par la persistance de leurs rêves.

Bruno Fougniès

 

Pôles

Mise en scène Christophe Hatey, Florence Marschal

Avec  Florence Marschal, Roger Davau, Tristan Godat, Cédric Camus, Loïc Fieffé, Karim Kadjar ou Emilien Audibert , Aurore Medjeber, Samantha Sanson