MARC KISKA « Outlandish /ROOM/ - édition Deluxe », et « Le Chevalier, la Lance et le Dragon »

 

 

Marc Kiska loupe

 

Marc Kiska, bonjour et bienvenue sur Regarts.org, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, Jean-Davy ! Je suis artiste, principalement photographe et écrivain. Je suis français, mais j’habite en Norvège depuis plus de vingt ans. J’ai commencé à écrire assez tôt, à l’adolescence. À mon arrivée en Norvège, découvrant les critères de masculinité non conventionnels – par rapport à la France – qui correspondaient aux personnages de mes écrits, j’ai eu envie d’illustrer mes textes. Je me suis tourné vers la photographie qui est devenue un outil très important de mon travail artistique. Pendant quelques années, j’ai publié des nouvelles dans des revues underground jusqu’à ce que je publie « Les Vestiges d’Alice », aux éditions Tabou, qui a reçu un des prix du Roman gay 2017. De fil en aiguille, je suis arrivé jusqu’aux éditions Abstractions, chez qui je publie principalement aujourd’hui.

Vous venez de publier aux éditions Abstractions « Outlandish /ROOM/ » et « Le Chevalier, la Lance et le Dragon », est-ce que l’un est la suite de l’autre ?

 Oui, en quelque sorte, la photo et l’écriture sont des supports qui me servent à exprimer à peu près les mêmes choses. Je travaille donc en parallèle sur les deux plans et il y a bien une continuité dans mon art. Et une évolution, toujours parallèle. J’ai écrit « Le Chevalier, la Lance et le Dragon » quelques années après avoir publié la première édition d’« Outlandish /ROOM/ ». Qu’est-ce qu’il y a après l’homophobie, la tristesse, l’insécurité, la différence, etc., exprimées à travers les photos de l’artbook ? Dans la nouvelle, j’essaye d’aller plus loin, je parle d’affronter les ténèbres et d’en sortir. 

Réédition de « Outlandish /ROOM/ » en Deluxe édition enrichie de nombreux textes, quelle en a été le point de départ ?

J’ai commencé la photo en 2004, dix ans plus tard j’ai voulu marquer cette décennie en autopubliant une édition signée et numérotée à 100 exemplaires d’un artbook rassemblant mes photos. J’ai organisé le lancement à Oslo et très vite ces 100 exemplaires sont partis. J’ai donc autopublié une seconde édition non numérotée, moins exclusive, plus accessible au grand public, que je vendais principalement lors de mes expos. En 2019, j’ai fait la connaissance de Quentin Westrich, co-directeur des éditions Abstractions, autour de l’appel à textes du recueil collectif « Stonewall », auquel j’ai participé, et dont j’ai réalisé la couverture plus tard. Je lui ai parlé des premières éditions d’« Outlandish /ROOM/ », que le livre n’avait jamais été distribué, qu’il était uniquement dispo à la librairie Les Mots à la Bouche, à Paris, et sur mon site web. L’idée est vite venue de publier professionnellement le livre et, pour marquer le coup, d’en faire une édition « Deluxe ». Elle est non seulement enrichie de textes, en version bilingue (anglais – français), mais aussi de cinquante photos inédites. Tout ceci a pris pas mal de temps, car on a porté beaucoup d’attention à cette édition.

Qui est X pour vous ?

Depuis quelques années, j’écris des nouvelles dont les protagonistes sont appelés X et qui traitent entre autres d’homophobie, comme dans « Le Chevalier, la Lance et le Dragon ». Ces X sont des « sans-noms » qui n’ont pas leur place dans la société, des moutons noirs en quelque sorte. À travers cette appellation, X, j’ai donc voulu accentuer l’idée d’exclusion. CeuX-ci. Un nouveau texte, avec l’un de ces protagonistes X sera prochainement disponible chez Abstractions dans « Amorphine », un recueil collectif de nouvelles sur la thématique de l’étrange. Enfin, toujours chez le même éditeur, ces nouvelles seront rassemblées dans un recueil dont la sortie est prévue en 2024.  

« Outlandish /ROOM/ » est illustré par de nombreuses photographies de garçons nus. Est-il facile d’exposer la nudité masculine ?

La plupart des expos auxquelles j’ai participé se déroulaient dans le milieu LGBTQ+, donc ça n’a pas posé beaucoup de problèmes. Mais je pense qu’en dehors de ce milieu, il est plutôt difficile d’exposer la nudité masculine, qui est souvent assimilée à la pornographie. C’est vrai qu’il y a un certain érotisme dans quelques-unes de mes photos, mais il est thématique, et ne saurait résumer mon travail. Dans la nudité, mon propos est la beauté et surtout la liberté du corps, d’un retour à la nature. L’idée que le corps n’est pas entravé.

Mélange de tirages couleur et de tirages noir et blanc, qu’est-ce qui les différencie à vos yeux ?

La technique et l’ambiance. On peut remarquer sur certaines photos en noir et blanc un grain très distinct, très épais, un rendu plutôt grossier, pas du tout lissé comme sur certaines photos en couleur. Pour ces photos j’ai utilisé des pellicules Ilford noir et blanc en 3200 ISO, et des lumières très contrastées. J’aime beaucoup l’atmosphère spéciale de ces images. Et puis je développais les pellicules en noir et blanc chez moi, c’était beaucoup plus économique vu le peu de moyens que j’avais à l’époque. 

Dans votre texte « Le Chevalier, la Lance et le Dragon », il y a un avant et un après, c’est presque, pour ne pas dire complètement, initiatique ?

Oui, on pourrait dire que c’est un conte moderne, initiatique. Il met donc en scène X, un ado maigrichon, un peu paumé, qui rencontre un « chevalier » lors d’une rave. Ce mystérieux personnage se met à lui parler d’une « lance », une alliée. X va partir dans la forêt à la rencontre de cette alliée, plongeant dans une aventure entre ombre et lumière. Dans ces ombres (les siennes ?), il se retrouvera face à un « dragon » et aura à affronter ses peurs. Le titre et l’illustration en couverture, réalisée par Jérôme Pellerin-Moncler, reprennent cette atmosphère de conte initiatique, sans pour autant rejoindre le côté enfantin de ce domaine.  

Ce texte est-il totalement inventé ou a-t-il une origine biographique ?

Un peu des deux. C’est une fiction, mais effectivement inspirée par certains points et à plus ou moins grande échelle d’évènements vécus.

Dans votre travail vous explorez l’adolescence sous toutes ses formes, est-ce facile de saisir ce moment de vie si incertain ? 

Oui, enfin pas sous toutes ses formes, mais parce que je l’ai vécue, je peux en parler à ma façon, selon mes expériences. Donc, il peut être aussi compliqué de parler des adolescents d’aujourd’hui, pour une question de mœurs qui évoluent sans cesse.

 Vous la racontez entre érotisme, brutalité, émotion, obscurité, diriez-vous qu’elle évolue ?

Dans mes textes et mon art, elle évolue, oui, entre ésotérisme et spiritualité. J’ai beaucoup parlé de moments difficiles mais, aujourd’hui, ce serait davantage dans le sens d’une quête, de réussir à dépasser ces moments sombres, l’homophobie par exemple, plus globalement la peur de l’autre, la difficulté d’être soi, le conformisme, etc. C’est une sorte de cheminement introspectif qui mène à s’accepter tel que l’on est.

Plus personnellement, peut-on dire que vous êtes un militant qui, à travers son univers, propose une autre image de la communauté LGBTQ+ ?

Non, malgré les sujets que j’aborde, je suis artiste avant tout, et je ne me considère pas comme étant militant. Je parle du sujet de l’homophobie, car je l’ai vécue, et la vis toujours, et que j’ai besoin d’extérioriser tout cela. En ce qui concerne la communauté LGBTQ+, mon art s’inscrirait plutôt dans la veine queer, qui est plus en marge, et plus proche de mon univers ; si tant est que j’aie envie de choisir une case.

En vous remerciant, vous habitez actuellement en Norvège, cela a-t-il une conséquence sur votre travail ?  

Pendant des années, j’ai habité dans une maison isolée dans la forêt. Je me suis rapproché de la nature, et cela a beaucoup influencé mon travail, dont la nouvelle « Le Chevalier, la Lance, et le Dragon », qui se déroule dans le même cadre. Au niveau photo, comme je l’ai dit plus tôt, les garçons correspondaient plus à ce que je recherchais à mettre en scène ; les modèles d’« Outlandish /ROOM/ » sont quasiment tous norvégiens, ainsi que les lieux où les photos ont été prises. Les sujets de quelques photos mettent aussi directement la culture norvégienne en avant. L’artbook est donc empreint de cette touche scandinave. Merci à vous également, Jean-Davy !