ÉMILIE CHEVRILLON –  MADAME MARGUERITE

 

 

Le Prsbytère loupe

Photo Alejandro Guerrero

 

Émilie Chevrillon, Bonjour et bienvenue sur Regarts.org, tout d’abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour, oui je suis comédienne et metteur en scène, à l’univers assez barré, j’aime les choses qui sortent de l’ordinaire, qui marquent, font rire et réfléchir. Je suis aussi quelqu’un d’engagé, notamment contre les violences faites aux femmes. J’aime le théâtre passionnément, mais paradoxalement je n’aime pas beaucoup les mots, que je trouve impuissants à retranscrire nos émotions ; et pour cette raison je me sens proche d’un Ionesco ou d’une Nathalie Sarraute, dont Roberto Athayde, l’auteur de Madame Marguerite, s’est inspiré.

 

Vous êtes sur les planches du Théâtre de l’Essaion avec « Madame Marguerite » qu’est qui vous a intéressé dans ce projet ?

L’extrême intelligence de la réflexion sur la folie du pouvoir qui est menée en filigrane à travers toute la pièce. Et l’incroyable incarnation qu’elle prend, à travers ce personnage déjanté, tout en paradoxes et en ruptures, fou et fragile, grossier et poète, qu’est Madame Marguerite. Un cadeau pour une actrice.

 

Pièce du brésilien Roberto Athayde, qui est-il ?

Il a écrit cette pièce à 21 ans, pour dénoncer la dictature au Brésil (1971), ses abus, ses exactions. Son écriture contient toute la fougue et l’irrévérence de la jeunesse, elle est rugueuse, impolie, un peu barbare, et aujourd’hui, dans un climat tel que le nôtre, où le langage est empêché et délétère, ça fait du bien. C’’est un destin bien incroyable que le sien : écrire sa grande pièce à 21 ans, qui le fera connaître dans le monde entier ! J’ai eu la chance de le rencontrer, il est venu trois fois voir la pièce à l’Essaïon. C’était un bonheur d’échanger avec lui.

 

Et qui est votre « Madame Marguerite » ?

Vaste question ! Avant tout, et résumant tout, elle est versatile, changeante, lunatique ; comme la dynamite, on ne sait jamais quand elle va exploser, ou au contraire, être aimable. Le public doit être déstabilisé, et ne jamais savoir où il en est avec elle. C’est le propre de la perversion, on est malmené, les émotions sont ballotées, la pensée se coince et tétanise, et on devient la victime idéale. Madame Marguerite est là pour instaurer le pouvoir absolu dans sa classe. Heureusement pour le public, sa folie et ses névroses, sa fragilité, son inextinguible besoin d’amour, la mettent en échec.

 

Interprétée la première fois par la grande Annie Girardot avant de nombreuses autres grandes comédiennes comme Madeleine Robinson ou Estelle Parson, vous en êtes-vous inspirée ?

Quand Michel Giès m’a proposé le rôle, après avoir lu le texte, je suis allée voir des images d’Annie Girardot sur internet ; j’ai tout de suite vu quelque chose qui m’a beaucoup aidé par la suite en travaillant le rôle : pour être quelqu’un d’autoritaire et comique, il émane de Girardot une immense fragilité et une humanité touche au cœur. C’est capital pour rendre le rôle profond et captivant. Ça m’a beaucoup inspiré. J’ai découvert aussi sur internet les mille et une manières dont ce texte a voyagé dans le monde entier, façon clown, façon trash, façon sado-maso ou pour les enfants… j’ai compris qu’elle pouvait prendre mille et un visages, cette Madame Marguerite, et que j’y avais finalement une grande liberté de créer, un terrain de jeu idéal.

 

Écrit en 1970 comment expliquez-vous que « Madame Marguerite » soit si moderne et contemporaine presque intemporelle ?

Parce que ce texte plonge de façon drôle et burlesque dans les arcanes du pouvoir ; Madame Marguerite manipule ses élèves, comme Staline, Hitler, Bolsonaro, Poutine et autres dictateurs, qui manipulent leur peuple. Tout y passe : la perversion, le mensonge, les insultes, la mise en grâce ou en disgrâce, le compliment, la paranoïa, la distinction, et le terrible et implacable besoin d’amour. Le public vit comme une expérience immersive. C’est très puissant et très divertissant à la fois.

 

Diriez-vous que l’intimisme de l’Essaion renforce son message ?

Absolument ! C’est une scène idéale pour le rapport scène/salle quand je m’adresse au public, et l’acoustique avec les voutes est telle que je peux me permettre des variations de voix incroyables. Après je pourrais aussi le jouer au Zénith. Ce serait autre chose !

 

En vous remerciant, qu’est qui vous rapproche de « Madame Marguerite » ?

Le pète au casque ! :0) Et le besoin d’amour du public…

Propos recueillis par Jean-Davy Dias