UN VIVANT QUI PASSE

 

Théâtre de l'Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris
01 46 06 49 24   

à partir du 14 septembre (pour 30 représentations)
à 19h et le dimanche à 11h.

 

Un vivant qui passe loupe 

Le point de vue de Gérard Noël :

 

Lors du tournage du film "Shoah", le cinéaste Claude Lanzmann rencontra un certain nombre de personnalités, notamment Maurice Rossel qui fut délégué du Comité International de la Croix-Rouge à Berlin durant la guerre. La première partie de cet entretien de 1979 porte sur une visite que Rossel effectua à Auchwitz. Il avoue ne rien y avoir vu de spécial. Il y serait allé de son propre chef et y aurait rencontré le Commandant du camp.

Ce texte n'est pas théâtral, bien sûr, mais ce jeu de questions et réponses, restitué par Sami Frey, est fort. Grâce au comédien, bien sûr, mais aussi à la dramaturgie qui en émerge presque naturellement. Rossel est reçu par un homme "très courtois".  Il déclare ne pas avoir vu de fours mais avoir croisé des détenus en pyjama rayé et calotte. Là, il ne soupçonne rien de Birkenau. Il savait, pour la déportation des Juifs mais il n'a rien vu. Pas vu de trains non plus.

Ce document pose de façon implaccable, la question du "savoir" ou "ne pas savoir", concernant toute cette période et l'Holocauste : Lanzmann, par ses questions,  veut vérifier des faits. Rétablir une vérité. Alors que le représentant n'a fait qu'un maigre rapport. Lanzmann insiste : — Et les prisonniers ? Rossel admet qu'ils avaient des yeux intenses, qu'ils étaient haves et semblaient dire en le voyant : — Voilà un vivant qui passe.

Ceci n'est que la première partie. La deuxième concerne Theresienstadt, une ville forteresse choisie par les Nazis pour être une sorte de ghetto-modèle. La visite a été faite ici, suite à des demandes aux autorités. Mais c'était une visite arrangée, comme une scène de théâtre qui serait jouée pour tromper les visiteurs. Il s'agissait d'un camp "Potemkine", donc truqué. (On raconte que Grégori Potemkine ait fait construire des villages factices le long d'une route que Catherine II de Russie devait emprunter). Rossel n'y aurait passé que deux ou trois heures. Son discours, glaçant, lui fait déplorer que les "acteurs" israélites (il emploie ce teme de préférence à juifs) n'étaient pas assez concernés, car privilégiés. Il les juge "trop passifs et dociles" et ne se prive pas d'allusions aux riches Juifs qui se blanchissent en collaborant pour avoir des visas.

Lanzmann évoque (rappelle ?) les exterminations importantes qui ont eu lieu après la visite. Il met en permanence Rossel devant son aveuglement. Ses approximations. C'est un dialogue de sourds, puisque Rossel s'entête, signalant qu'on ne lui a pas fait le moindre signe, ou mis le moindre papier dans la poche.

À propos de Theresienstadt, le représentant de la Croix-Rouge écrit : Ville normale mais surprenante. Et d'ajouter que le côté surprenant, c'est peut-être qu'elle ait l'air normale. Il n'a vu que des gens "normaux". Lanzman insiste : — On vous a caché les maigres ?

— Oui, répond-il.

Ce texte, terrible,  est un un témoignage sur l'horreur ordinaire. Il y a eu des responsables, mais aussi la masse de ceux qui auraient pu voir, qui auraient pu témoigner et n'ont rien vu ou fait. À la fin de cette lecture incarnée, le comédien Sami Frey continue à s'effacer devant l'Histoire : il ne salue pas et le rideau de fer du théâtre descend.

Gérard Noël

 

Le point de vue d'Alexandra Diaz

 

Après Beckett, Sami Frey retrouve le Théâtre de l’Atelier pour une lecture, l’exacte transcription de l’entretien de Claude Lanzmann avec Maurice Rossel, délégué à Berlin du comité international de la Croix-Rouge pendant la seconde guerre mondiale. Son rôle fut notamment de rendre compte de ce qu’il voyait dans les camps, Auschwitz dès 1943 et le ghetto « Potemkine » de Theresienstadt, près de Prague. Lors de cet entretien fait en 1979, Claude Lanzmann le questionne sur sa crédulité, « sans le rendre ridicule » et sans empathie.

Attablé à un simple bureau, avec sobriété, Sami Frey porte ces deux voix. La juste incarnation et la voix profonde du comédien nous font plonger dans le récit. Avec un naïf étonnement mêlé à la stupeur, nous écoutons Maurice Rossel face au Kommandant d’Auschwitz et sa visite du « ghetto modèle », vaste supercherie, exemple du sadisme nazi, dont il a été victime. Claude Lanzmann lui révèle les détails de la mise en scène pour le pousser à déconstruire cette farce.

Ce point de vue offre un traitement singulier de la Shoah, celui de l’intérieur demeuré superficiel, conséquence de la fabrication des nazis. L’inaction n’est pas dédouanée. Cependant, la dissection des faits permet la compréhension froide et objective de la passivité des différents acteurs face à l’atrocité. Dans le présent, efforçons de ne pas oublier « le vivant qui passe ».

Alexandra Diaz

 

Un vivant qui passe

Texte : Claude Lanzmann.

Avec Sami Frey

Lumières : Franck Thévenon
Son : Vincent Butori