Entête

LE JOUEUR

 

Théâtre de l’Atalante
10 place Charles Dullin
75018 Paris

Rés : www.billetweb.fr/festival-nta

 

Les 14, 15, 16 décembre 2022 à 19h

 

Le Joueur loupe

 

 

Beau challenge que d’adapter Le Joueur de Dostoïevski pour un seul comédien. Si le roman est court pour la plume prolifique de l’auteur russe, il reste pourtant la richesse de l’intrigue, la multitude des personnages et la nature des thèmes majeurs de l’œuvre qu’il faut faire exister sur scène. Par chance, le personnage principal, Alexeï Ivanovitch, en est aussi le narrateur. Un narrateur qui, exacerbée dans cette adaptation, possède une sorte de double focale : l’une dirigée vers l’extérieur, le monde, le jeu, l’amour et l’autre dirigée vers sa propre conscience, et l’analyse introspective de son être.

Nous sommes dans la pièce, le cagibi, la chambre ou la vision de la mémoire d’Alexeï. Il est le précepteur des enfants d’une famille russe en villégiature dans un ville d’eau allemande imaginaire. Érudit mais ruiné, il a la blessure de ceux que les aléas de la vie humilient en les reléguant à une place indigne de leurs naissances ou de leur intelligence. Mais peu importe, le personnage est surtout riche du fait que ne possédant rien, il n’a rien à perdre. Sauf l’espoir de posséder quelque chose peut-être ? Sera-ce l’argent gagné à la roulette ? Serait-ce l’amour de Paulina, la filleule du général qui l’emploie, à laquelle il offre sa vie comme un haut personnage romantique ?

Dans son interprétation, Aurélien Piffaretti nous donne dès les premières minutes, la lucidité du personnage sur l’addiction du jeu qu’il ressent. Au cours de l’histoire, ce sera une analyse fine et précise des fascinations, des jouissances et des souffrances du jeu. Mais sans que cela soit jamais dogmatique. Le sensuel est omniprésent à chaque seconde aux côtés de la réflexion : le plaisir étrange du jeu devient un écho exact du plaisir ressenti face à l’amour absolu. Celui que ressent Alexeï pour Paulina. Le jeu et l’amour, même folie, même perte, même excitation, même richesse…

Forces de créations et forces de destructions résonnent ainsi tout au long de ce monologue entre jeu et amour. Aurélien Piffaretti se glissant parfois dans la peau de Paulina pour faire vivre une scène dialoguée, ou tantôt venant s’amalgamer au public dans étreinte fraternelle et complice. L’adaptation du texte et la mise en scène de Philippe Cotten se jouent ainsi de tout réalisme et bouscule les barrières entre scène et salle. Une manière d’impliquer le public dans la réalité du personnage et de rendre ce texte contemporain.

Une scénographie ingénieuse permet de bondir d’un lieu à l’autre dans une univers surréaliste inspiré par Magritte. Les objets deviennent personnages, les découpes de lumières et les projections télescopent les univers, les flots écumeux s’échouent sur des architectures géométriques, ajoutent à l’impression d’être dans la tête du narrateur.

Ce que met en valeur ce spectacle, c’est aussi cet absolu que l’argent procure : cette valeur qui peut paraître superflue mais qui, dans le monde raconté par Dostoïevski comme par celui raconté dans nos quotidiens et nos réseaux sociaux, est le seul moyen d’exister aux yeux des autres, et d’être considéré, et bref d’exister.

Bruno Fougniès

 

Le Joueur

Adapté de Le Joueur de Dostoïevski
Texte de Fédor Dostoïevski
Mise en scène Philippe Cotten

Jeu Aurélien Piffaretti

Création lumière : Olivier Oudiou
Création vidéo : Axel Belin