Entête

LES DIABOLIQUES

 

Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris
01.45.44.50.21

Jusqu’au 10 mars 2024
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 17h

 

Les Diaboliques loupe

Photo © Sébastien Toubon

 

En 1874, Jules Barbey d’Aurévilly publiait Les Diaboliques, un recueil de six nouvelles explorant des histoires d’amour passionnelles et interdites sur fonds de vengeance et de crime. À l’époque, le livre fut saisi pour son côté scandaleux et immoral. Cependant, il circula sous le manteau et fut lu comme un plaisir coupable. Car comme le disait si bien l’auteur « Interdire un livre c’est le recommander ».

Et c’est là le fil rouge de la pièce : comprendre cent cinquante ans plus tard pourquoi ce texte fut interdit et comment pouvait alors se défendre l’auteur. Pour ce faire, Christophe Barbier a brodé autour du texte original, mettant en scène le procès de l’auteur, ce qui apporte un côté didactique au spectacle, tout en reliant les histoires entre elles.

Les quatre acteurs présents sur scène donnent ainsi corps et voix à Barbey d’Aurévilly, qui se défend, face à un juge absent dont on devine les questions. L’auteur se justifie : il n’aurait écrit que la vérité et ce dans le but de dissuader les lecteurs de se comporter comme les personnages de ses nouvelles. Ainsi, Le Bonheur dans le crime, Le rideau cramoisi, La Vengeance d’une femme et Un dîner d’athées, sont autant d’illustrations de sa démonstration. Magali Lange et Reynold de Guenyveau campent ces quatre couples au destin tragique tandis que Gabriel le Doze et Krystoff Fluder, commentent et précisent ce qui se joue sur scène, tels des narrateurs ne perdant pas de vue le supposé procès.

Cette mise en scène nous plonge d’emblée dans une époque. Le décor est une sorte de grotte dont les arrondis et les traits noirs rappellent une gravure de Gustave Doré. Les costumes sont noirs eux aussi mais on devine des textures différentes, entre le velours et le satin, qui illustrent d’une certaine façon les nuances du sombre ou du mal. L’ambiance générale est alors toute mystérieuse et intrigante, entre le romantique, le gothique et le baroque. Et ce cadre est tout à fait propice à ces histoires d’amour secrètes et prohibées dont les protagonistes sont toujours des femmes fatales.

Au milieu de tout ce noir, des notes de rouge. Rouge comme l’éventail et la mantille. En effet, deux de ces quatre femmes diaboliques, magnifiquement interprétées par Magali Lange, sont espagnoles. Ces deux accessoires sont, au moins depuis Carmen, associés à la femme libre, séduisante, séductrice mais aussi dangereuse. Car le rouge est la couleur de la passion, de la pulsion de vie mais aussi de la pulsion de mort car ce sera aussi la couleur du cœur d’un amant décédé, tué par un mari jaloux. On passe ainsi rapidement de la vie intense à la mort, qui l’est tout autant, en très peu de temps grâce au rythme soutenu de la pièce et au jeu ardent et investi des comédiens.

Ce qui n’a peut-être pas changé depuis 1874, c’est la difficulté à saisir précisément le message que l’auteur cherche à transmettre. Dénoncer la cruauté ? Montrer que la liberté conduit à la tragédie ? On aurait envie de voir dans ces personnages des femmes fortes et libres, mais ce n’est pas si clair. Par exemple, la jeune fille du Rideau cramoisi n’a pas droit à la parole, celle qui se venge de son mari en se prostituant en tombera malade… La seule histoire d’amour présentée comme heureuse peut l’être car Hauteclaire Stassin a tué sa rivale !

Cette adaptation serait alors une réflexion sur la censure ? C’est possible. En tout cas, nous nous réjouissons des questions que la pièce pose, d’une part, et d’autre part, de cette (re)mise sur le devant de la scène de quelques espagnolades moins connues et encore plus sombres que Carmen de Prosper Mérimée ou que La femme et le Pantin de Pierre Louÿs.

Ivanne Galant

 

Les Diaboliques

D’après l’œuvre de Jules Barbey d’Aurévilly
Adapté par Christophe Barbier
Mise en scène : Nicolas Briançon

Avec : Gabriel Le Doze, Magali Lange, Krystoff Fluder, Reynold de Guenyveau

Lumières : Jean-Pascal Pracht
Décor : Bastien Forestier
Costumes : Michel Dussarat
Son : Émeric Renard
Assistante à la mise en scène : Elena Terenteva