LA PETITE HISTOIRE QUI VA TE FAIRE FLIPPER TA RACE

Le Performance
6, rue Ramonet
33000 BORDEAUX
07 83 30 43 01

Du 10 au 25 février 2017
du mercredi au samedi à 21h00

 

La Petite Histoire qui va te faire flipper sa race (tellement qu'elle fait peur) loupe 

Démarche désarticulée au son déglingué d'une boîte à musique, tablier de cuisine pour tailler dans le vif des sujets et des chairs, bottes en plastique de jardin pour déterrer les cadavres, Typhus Bronx apparaît, le visage caché sous une interminable chevelure noire.

Non sans rappeler celle fantastique de la nouvelle éponyme de Maupassant, ce postiche, spectre d'une marâtre diabolique, est fixé sur la tête de celui qui finalement se présente comme un clown, aux cheveux hirsutes sous un bandage suspect, fendant le rideau capillaire pour se présenter dans un salut espiègle et malicieux.

Dans ce huis clos à l'atmosphère calfeutrée, le spectateur se etrouve l'invité piégé dans un espèce de goûter d'anniversaire, laboratoire d'expérimentations à la blancheur immaculée. Ce qui semblait donc être la représentation du « conte de Genévrier », revisité par un théâtre d'objets devant un par-terre d'amis-spectateurs, va très vite se transformer en un vol réincarné au dessus d'un goûter de doudous, et l'histoire des frères Grimm de passer à la moulinette de l'imagination excursive et taillée à la hache des élucubrations tenaces du jeune Typhus.

Typhus Bronx de son nom, figure à la fois l'identité d'un clown au nez rouge déformé et capitonné, symptôme de l'affection (le typhus) dont il semble atteint, dans le bazar (le bronx) qui se joue dans sa tête. Atteint d'une conjonctivite inhérente à ses propres obsessions, son regard trahit une illusoire innocuité et joue sur l'oxymore d'une âpre douceur, d'une sympathie féroce. Entre doudous glacés, ficelés, embrochés, entractes de marshmallows grillés au chalumeau et chips au coca, avec ou sans paille, l'univers de Typhus semble pétri de bonnes intentions mais pavé de mauvais outils. Ainsi, ses attentions tombent quasi systématiquement à plat ou versent dans le côté obscur, donnant des moments risibles, parfois absurdes.  

De détours emportés en divagations effervescentes, c'est dans la fragilité de fêlures sensibles que se déplie le tragique, qu'éclatent les chairs, que se défont les relations, que se déploie une histoire qui prend vie et consistance, façonnée par les considérations altérées ou déviantes du jeune garçon.

Touchant les extrêmes entre cruauté et innocence, gestes maladroits et actions spontanées, Typhus navigue sans filtre et nous attire dans le réel d'une histoire où les frontières entre fiction et réel se brouillent jusqu'à se confondre, s'emmêlant lui-même les pinceaux. Oscillant au rythme de cette schizophrénie complexe, on se laisse happer pas le sombre récit qu'il met en scène. Les objets manipulés deviennent corps joués, puis incarnés, et le clown ressuscite ce petit garçon mal-aimé, au destin biaisé des frères Grimm.

Dans la fièvre de digressions passionnées, emporté par une imagination débordante, Typhus ne laisse aucun répit pour le spectateur sans cesse ballotté dans une histoire aux résurgences machiavéliques.

Typhus s'amuse, se fait professeur jouant avec les codes théâtraux, conduisant ses nouveaux comédiens-amis de main de maître du bout de sa tapette à mouche. On retourne à la fraîcheur de l'enfance mêlée d'insouciance au fil de jeux scénaristiques, sur fond de schémas expressifs, de didascalies et de répliques farcies de fautes désamorçant une tension terrifique et caustique.

Dans l'innocence de l'enfance, comme un garçon étouffe un petit animal à le serrer trop fort pour lui prouver son attachement, celui qui entend nous « filer les miquettes » comme il dit pour rire, va sans s'en rendre compte réellement nous « faire flipper notre race », cabossant malgré lui tout ce qu'il touche et par là même le spectateur.

On reste dans un minimalisme d'objet efficace, une betterave, une éponge, un couteau et une fourchette à deux dents figurent les personnages principaux, l'interprétation et la réécriture presque fidèle de ce conte, sculptent de façon très pertinente et réussie une variation sanglante, où Typhus, possédé par de macabres et délirants idées, se fait justice lui-même et entend bien venger, comme il peut, une enfance maltraitée.

Son imaginaire ouvre à toutes les absurdités et suggestions incongrues, lui permettant de se réapproprier, de modifier le conte du Genévrier jusqu'au point de non retour, avant de rétro-pédaler dans sa tête, puis de divaguer nouveau, mais il est déjà trop tard. Est-il déjà trop tard ?

Lorsque, finalement, il libère le spectateur de ce goûter aux relents d'hémoglobine et de pièces entamées, tout ou presque semble rentrer dans l'ordre. Le petit garçon réinterroge la vie du haut de sa jeune naïveté : « est-ce que la lumière du frigo reste allumée quand la portière se referme ? » En attendant, il faut bien remplir de choses ce frigo qu'il qualifie de vide, comme on remplit sa vie, à défaut d'amour ou d'amis... Cela tombe bien car des histoires, des images ou des personnages, Typhus s'en forge plein dans sa tête. Quels autres récits imaginaires restent encore emprisonnés sous ses bandages ? Quelles sont les origines de Typhus et de quelles racines son Bronx interne est-il l'hérédité ?

Mais il est déjà tard et le marchand de sable, ou de petits cailloux piquants, n'est plus très loin.

Cynthia Brésolin


La Petite Histoire qui va te faire flipper sa race (tellement qu'elle fait peur)

Solo de Typhus Bronx

d'à(peu) près un conte de Grimm

À partir de 12 ans

De et par Emmanuel Gil

Collaboration artistique Marek kastelnik, Lisa Peyron

 

Mis en ligne le 16 février 2017