SAPPHO FACE À L'ABSENCE

Au Lieu Sans Nom 
12, rue de Lescure
33000 – BORDEAUX

Du 3 au 6 et du 10 au 13 novembre 2016 à 20h30 –
Dimanche à 16h00

Informations et réservations :
compagnie Themroc : 06 78 79 43 90
compagniethemroc@gmail.com

 

Sappho face à l'absence loupe 

Entre résurgence de la parole et résistance poétique.

Poétesse grecque de l'Antiquité, Sappho a passé sa vie, par la pratique du verbe et l'exaltation de l'amour, à défier les codes helléniques. Ses quelques fragments de vers qui nous sont parvenus aujourd'hui sont ici portés au plateau et mis en voix pour réhabiliter la parole d'une seule femme.

Mais de quelle absence Sappho est-elle le nom ?

Plongé dans le noir, le spectateur est tout de suite perturbé par une voix douce et posée, attirante et campée. Ce chant de sirène qui se balade l'attrape par le revers et le transporte dans un ailleurs. La silhouette d'une femme marquée par le temps apparaît alors devant un chemin tracé. Face à ces dalles antiques, le dédale de Sappho s'offre au public et se transforme petit à petit, à l'orée d'un éclairage tamisé, en chemin de feuilles, gravas de vers, morcellement de poésies retrouvées. Pour peu qu'il se laisse entraîner, le spectateur se fait emporter 26 siècles plus tôt dans une diégèse antique entre bribes de vie et considérations philosophiques, avec la distance à la fois géographique de l'exil, loin de Lesbos, et celle de la sagesse d'une femme proche de la fin.

Résurgence d'outre-tombe, poésie elliptique passée à la moulinette corrosive du temps, ces lambeaux de vers saphiques nous parviennent comme autant de trésors intacts, fossiles d'une agora aristocratique que Sappho a choisi de fissurer et s'accorde à nous rendre ici humblement.

La voix délicate et pénétrée de Suzanne Robert, soulignée par une musique grave et mesurée, décrit cette odyssée lyrique et intime. Elle dessine dans l'espace vide des images sensibles que le spectateur découvre par le prisme de ces vestiges de fragments, rassemblés ici en 9 tableaux.

Loin des récits épiques d'Homère et première personne à employer le « je », la poétesse convoque Aphrodite comme motif pour parler des passions qui l'habitent et invite, au centre d'un plateau épuré, la puissance même de l'amour. 

Portant au théâtre une âme complexe et engagée à différents moments de son existence, Hugo Layan entend ici déplier ce nuancier de visages et raturer l'étiquette réductrice de lesbienne qui  lui colle aujourd'hui à la peau. Ainsi, dans ce kaléidoscope identitaire le metteur en scène rend hommage à Sappho à la fois femme, épouse puis veuve, mais également mère, préceptrice, amie et artiste, seule face à l'absence. Sappho résiste de multiples façons : à la mort par sa poésie, à la condition féminine par la transmission lorsqu'elle s'adresse à son groupe de jeunes femmes. Elle se fait donc féministe, sorte de liberté guidant les esprits de ces adolescentes figurées dans un choeur, corps de pupitres, que Sappho fait délicatement éclater sur scène comme on décolle les pétales d'une même fleur, pour dès lors déambuler dans une forêt d'apprenties et s'adresser personnellement à chacune, dispensant son savoir et ses expériences.

Grâce à la poésie, arme symbolique de résistance au temps, la Sappho-Suzanne Robert incarne l'absence et tapisse le plateau de sa présence atavique. Elle se plante là, statuaire grecque que rien ne pourrait faire plier sinon Éros et Aphrodite auprès de qui elle accepte de s'abandonner. Dans sa façon d'assumer la ferveur dévorante de l'amour, elle revendique sur scène une féminité riche de désirs, d'exaltations avec ses bons et mauvais côtés.

Entre poésie apollinienne et ardeur dionysiaque, Sappho montre ce que Nietzsche mit en exergue dans « Naissance de la tragédie », à savoir que l'art sauve l'humain lui permettant de reconquérir sa propre vie pour appréhender l'existence d'une autre manière. Ainsi, lorsqu'elle répète « je dis que plus tard quelqu'un se souviendra de moi », on comprend ici qu'il  ne s'agit pas tant de panser un ego de son vivant que de faire état d'un « ça a été », comme dirait Roland Barthes, et ainsi par l'acte poétique de transgresser la vie pour venir jusqu'à nous, laissant trace face à l'oubli et après la mort.

Mettant en scène une parole qui « cherche à donner forme aux souvenirs » où « l'absence donne force à la parole » nous dit Hugo Layan, cette pièce souhaite relayer le message intemporel porté dans l'ultime tableau que Sappho nous tend comme un témoin en héritage : aime, ici et maintenant, aujourd'hui !

Cynthia Brésolin

 

Sappho face à l'absence

Adaptation des fragments par Pierre Landete
mise en scène : Hugo Layan

Interprète : Suzanne Robert

Lumières : Jean-Pascal Pracht
Musique : Gaëlle Hispard

 

Mis en ligne le 4 novembre 2016