LIBERTÉ À BRÊME

MJC Roguet - Saint-Cyprien

Toulouse

 

Noir. Faible lumière éclaire un homme dos public. Et puis les premiers mots prononcés d'un ton autoritaire, impératif, sans issue :

- journal…

- café…

- Schnapps …

Et une femme, l'épouse de l'homme, vêtue de noir qui exécute chaque ordre sans sourciller, d'abord on croit qu'il s'agit d'une servante… et quand bien même… Ainsi commence, Liberté à Brême (1971) du réalisateur et dramaturge Allemand, Rainer Werner Fassbinder (1945-1982). Par l'éclairage minimaliste, par les costumes d'époque où prédominent les couleurs sombres, Nathalie Andrès et son équipe de comédiens et techniciens reproduisent un univers austère, ordonné à partir de la figure masculine et de la religion ; elles instaurent et maintiennent, du début à la fin, une tension dramatique intense entre les acteurs, entre la scène et la salle. Mais Liberté à Brême, c'est quoi ? De quoi s'agit-il ? Il est possible de voir la pièce sous cet angle : c'est l'histoire d'un scandale, c'est l'histoire d'une femme, Geesche, qui se transforme sous nos yeux en sérial killeuse se débarrassant presque sans remords, presque sans émotion, de ses maris, de ses enfants, de ses parents (mère, père, frère), des fouineuses bécasses faussement satisfaites de leur condition de femme socialement inférieure à l'homme et qui jouent hypocritement leur rôle. Mais Geesche, elle, ne veut pas de ça. Elle veut être une femme libre à l'égale de l'homme. Elle le dit sans le crier mais avec force et détermination ; tue, exécute, en chantant une chanson, toujours la même, comme un leitmotiv, ni triste ni gaie, empoisonne froidement tous ceux qui s'opposent ou qui pourraient s'opposer à la réalisation de son désir et s'administre, lorsqu'elle est découverte, le même poison qu'à ses victimes. Froide, toute émotion contenue, du moins, c'est l'image que nous offre de Geesche la comédienne Nathalie Nauzes.

Et pourtant sous l'habit noir austère comme sous une burka, la chair brûle, la chair est une braise. Dormir seule, dans un lit vide d'homme, ce n'est pas son truc. Ainsi si Geesche élimine les hommes un à un comme autant d'obstacles sur le chemin de son désir ce n'est pas par haine du mâle et du phallus mais au contraire parce qu'elle les aime et qu'ils ne veulent ou ne peuvent la comprendre. Sa violence n'a pas pour cible le mâle ou la relation homme-femme mais la société. Liberté à Brême jette une lumière crue sur ce que fut la condition féminine, elle montre que la conquête de l'égalité homme femme passe aussi par ces questions : qui sert ? Qui est servi ? Qui peut dire : je désire ? Qui peut dire : non ? La famille, c'est quoi ? Quelle place pour la religion dans le contrôle des imaginaires, des consciences et des corps ? Ici, le choix de faire jouer en costume d'époque, de déplacer le regard du spectateur dans un espace temps différent du sien est judicieux en ceci qu'il permet au spectateur d'avoir un rapport distancié à l'objet proposé et de faire l'aller-retour entre hier et aujourd'hui, de mesurer le chemin parcouru et ce qu'il reste à parcourir.

Le spectacle Liberté à Brême de Nathalie Andrès et de son équipe est un beau travail. Il sera à nouveau proposé au public le 5 avril 2012, dans une scénographie plus intimiste, au centre culturel Bellegarde à Toulouse.

 

Charles Zindor

 

Liberté à Brême de R.W Fassbinder

Les actrices et acteurs :

Nathalie Nauzes,

Muriel Benazeraf,

Olivia Kerverdo,

Stéphane Naigeon

Philippe Bussière,

Adrien Alezard,

Richard Duval.

Costumier : Cédric Tirado et Clément Robert

Eclairagiste : Didier Glibert.

Cinéaste Film : Claire Ananos.

Actrice Film : Sylvie Ananos

Mise en scène : Nathalie Andrès

Dessin : Cédric Tirado