LES GRANDES EAUX

Deuil en Eaux troubles – Les Grandes Eaux – TNBA

Texte et mise en scène Anna Nozière

Du mardi 11 au samedi 15 octobre

mardi à vendredi à 20h00

samedi à 19h00

 

TnBA

Salle Vauthier / Durée 1h15

Dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole

 

Après le FAB :

15 - 16 novembre 2016 - l’Espal, Le Mans

20 janvier 2017 - Théâtre de l'Atrium - Dax
24 - 25 janvier 2017 - DSN - Dieppe Scène Nationale

 

billets
12€/ 25€
FABADDICT 10€/ 17€

Réservation :

Internet : fab.festivalbordeaux.com/

 

Sur place :

L'INOX

9 rue des Capérans, 33000 Bordeaux

06 63 80 01 48

 

TNBA

3, place Pierre Renaudel – 33800 BORDEAUX

05 56 33 36 80

www.tnba.org

 

Les Grandes Eaux loupe  © Isabelle Jouvante

Comment réagir face à la mort quand elle frappe au moment où l'on s'y attend le moins ? Quand elle survient par accident ? Patrick gît là sur le sol devant nous. Il est mort, étouffé par une paupiette. Quelques instants plus tôt pourtant, il cuisinait pour sa belle avec qui il trinquait gaiement autour d'un verre de vin.

La scène s'ouvre sur un appartement sommaire : tableau funeste comme une nature morte aux oranges à la Cézanne, dans sa période cubiste où se redéfinissent la réalité et ses représentations, ici le deuil. Ces agrumes sur fond bleu posés là, en avant scène, ne sont pas sans rappeler, par ailleurs,  le poème de Paul Eluard « la terre est bleue comme une orange », montrant le bonheur partagé du couple dans leur salon. Mais Patrick meurt.

Peu à peu, sa femme, sa sœur, sa nièce, et entre autres sa maîtresse apparaissent sur cette palette monochrome azurée : Que faire du corps ?

Patrick est mort, il faut ressusciter Patrick.

Dès le départ, les scènes courtes et rapides dans un découpage visuel et cinématographique plantent un décor sommaire et efficace. Sans réelles indications de lieux et de temps, l'histoire se situe dans ces grandes eaux troubles, précisément entre le moment de la constatation de la mort et celui de la mise en bière, de l'acceptation, au commencement du deuil donc.

La perte d'un être cher entraîne dans sa chute déstabilisée celle de repères communs. D'un coup, tout est perturbé laissant place à une folie déclenchée par la visite aussi soudaine qu'inattendue de la faucheuse. Dans le flot continue d'idées aussi étranges que délirantes, dans les tourbillons d'actes absurdes, d'expressions de type cadavres exquis, ou de dialogues à la Ionesco, tout se « tourneboule » comme on le répète sur scène. Refusant de voir la réalité en face, les personnages deviennent incohérents, les pensées dé-raisonnées s'entrechoquent au milieu d'instants fugaces de lucidité. Au fond, il ne s'agit pas tant de folie que de dénie de réalité. Face à cet être que l'on souhaite garder vivant, non préparé à laisser partir si tôt, on se raccroche à tout espoir qui pourrait être permis ou pensable, même le plus irrationnel. C'est donc « logiquement » pour les proches de penser à un possible réveil du mort.

Dès lors tout est envisagé et envisageable : on parle de télépathie, d'immaculée conception, on pense à une cryogénisation mystérieuse, on tente une résurrection mystique, et si une technique ne ramène pas cet époux, cet amant, ce frère, cet oncle à la vie, on passe à une autre. Si Patrick est bien mort, il ne l'est pas encore tout fait dans leurs esprits. Tout ce qui pourrait semer, repousser la réalité est convoqué : la vierge de piété qui espère la résurrection et l'incantation mystique de type exorciste, la sorcellerie et son grimoire, le spiritisme et ses rites pour faire revenir les esprits et rendre son âme au corps, jusqu'à l'électrochoc chirurgical.

Sur scène, une tension dramatique lancinante et les multiples archétypes nous rappellent la présence fatidique de la mort, tandis que le spectateur se prend à croire que ce n'est pas fini, tant tout est mis en œuvre pour faire revenir le défunt à lui.

Ainsi, entre le décès et la mise en bière, pris en étaux entre le vivant et le mort, entre terre et ciel, on oscille tour à tour entre rire et instants dramatiques, entre tombeau-congélo et cercueil funeste, flûte à bec et chants plaintifs, entre ambiance froide et humide et orangée et enflammée, entre instants suspendus, emphatiques, processuels et rites surréalistes, entre pigeon mort et steak cuit, entre exorcisme et paralysie physique.

Si on parle de folie c'est également parce que, dans ce temps intermédiaire, la mémoire avance en eaux troubles et le cerveau, pour ne pas sombrer, adapte les souvenirs pour mieux supporter l'âpre réalité, se crée un filtre pare-balle, un écran pour mettre une distance illusoire. Ce qui, de prime abord semblait décalé, saugrenu et drôle se révèle très vite plus profond que cette apparence comique.

Dans l'ultime tableau, dernier clin d’œil éclairé, Anna Nozière nous pose subtilement la question : nos propres réactions sont-elles vraiment logiques quand on est nous-même confrontés et pris dans l’œil cyclonique de la mort ?

La pièce monte en puissance doucement et insidieusement dans un débordement parfois chaotique désamorcé par le rire, jusqu'à que, toute raison retrouvée, tous réintègrent leur propre rôle et tout retrouve naturellement sa place : on reste devant un cercueil austère flanqué de trois couronnes funéraires, image de la Sainte Trinité.

Au nom, du père, du fils et du Saint Esprit. Adieu.

 

Cynthia Brésolin

 

 

 

Mis en ligne le 13 octobre 2016