LA MÉLANCOLIE DES BARBARES

Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées
Petit théâtre
1 rue Pierre Baudis
BP 50919
31009 Toulouse cedex 6
05 34 45 05 05

Regard(s) 1 Politiques
Jusqu'au 23 novembre

 

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Mis en ligne le 20 novembre 2013

La mélancolie des barbares

Koffi Kwahulé répète ses gammes.

 

Le jeudi 14 novembre 2013, au théâtre national de Toulouse, j'ai assisté à une représentation de La Mélancolie des Barbares, de l'auteur de théâtre Koffi Kwahulé dans une mise en scène de Sébastien Bournac.

Koffi Kwahulé est un auteur d'origine ivoirienne. Il a étudié le théâtre à Abidjan, à la rue Blanche (Paris) et soutenu une thèse de doctorat en arts du spectacle à Sorbonne Nouvelle sur le théâtre Ivoirien. Depuis sa première pièce éditée Cette vieille magie noire (1993), il a publié plus d'une vingtaine de pièces et un roman qui vaut le détour Baby Face (2006). Certaines de ses pièces, Bintou, Jaz sont traduites en anglais, en allemand, en italien.

Bintou campe la figure d'une héroïne, adolescente de 14 ans,  née en France de famille migrante, héroïne de banlieue poussée entre les tours de la cité, échappant à tout contrôle, chef de gang,elle meurt sous le couteau de l'exciseuse;  s'inspirant de Lush Life de John Coltrane, dans Jaz Kwahulé brode autour du viol  en posant la question de la mise à distance de la violence subie.

L'écriture de Koffi Kwahulé obéit tantôt aux principes de la  construction dramatique  (Bintou, P'tite Souillure) tantôt comme une improvisation jazzistique autour d'un thème (Jaz, Big Shoot, Blue Scat). Mais le choix d'une construction dramatique ne signifie pas pour autant disparition de l'influence du jazz, si elle apparaît moins présente dans la structure de la pièce pour autant  elle  demeure présente à l'intérieur des répliques, par ailleurs les didascalies d'année en année tendent à disparaître totalement jusqu'au nom même des personnages.

Certaines de ses pièces (Les Recluses, Jaz) laissent place à une possible identification  au personnage, identification suscitée non par l'intermédiaire de la terreur et de la pitié  mais pas la capacité de résilience des personnages qui doivent, à l'image des descendants d'esclaves, des peuples colonisés, des Rwandais, de toute personne victime de violence,  trouver en eux, dans l'histoire et la société, les ressources  pour se reconstruire, pour se réinventer et réintingrer l'humanité afin de  ne pas sombrer dans le chaos.

D'autres, au contraire, n'offrent aucune prise au spectateur. C'est le cas de La Mélancolie des Barbares. La pièce montre une mère de famille et ses deux enfants Zac et Lulu habitant et ayant grandi dans une cité de banlieue quelque part dans ce vaste monde conquis par le capitalisme qui a perdu l'esprit.

Lulu cherche du travail et est prête à tout pour en trouver jusqu'à l'humiliation lors d'un entretien d'embauche. Zac, petit caïd rêvant de devenir grand, s'identifie à Scarface,  deale la camelote fournie par Monique alias Baby Mo. Baby Mo qui a goûté  beaucoup de garçons du Lycée et de la cité, porte désormais le voile suite à son mariage avec le flic son aîné de plus de 20 ans, tout en exprimant son amour à  Zac,  son ami depuis le lycée, amour qu'elle n'a pas encore consommé. Le flic, figure de substitution du père de Zac mort, a recruté Zac après que ce dernier ait liquidé le recruteur qui a humilié Lulu sa soeur.  La morale du flic est plus proche de celle du cow boy lancé à la conquête de l'Ouest que de celle d'un agent de la fonction publique ; le revolver, objet récurrent dans les pièces de Koffi Kwahulé, est son deuxième phallus, celui qui donne le pouvoir, la domination, la griserie, l'ivresse du pouvoir.

La pièce, tout en évitant les stéréotypes, esquisse beaucoup de thématiques déjà abordées par Koffi Kwahulé , la religion et la perversion, le port du voile, la relation homme-femme, la relation frère-sœur,  l'homosexualité, la famille, l'absence du père, l'inceste, le pouvoir en tant que relation, comme s'il fallait mettre sur la scène toute la société prise dans cette dynamique qui fait se confronter le stable et l'instable, le licite et l'illicite, la norme et le hors  norme, le pur et l'impur,  le sacré et le profane ...L'enjeu pour Koffi Kwahulé, en tout cas dans cette pièce, ne semble pas être de traiter tous ces thèmes, mais de montrer des personnages en quête de figures d'identification, de valeurs de référence ; des personnages sur le seuil pris dans les rets de la complexité, désirant rejoindre le centre  (Lulu) ou  désirant appartenir à la fois au centre et à la périphérie (Zac : devenir flic et chef de gang) ou symbolisant  la jonction du centre et de la périphérie (le policier hors la loi, faisant partie d'une milice,  faisant l'apologie de la vengeance personnelle et du port du voile dans une posture très chrétienne).

L'écriture ainsi que les choix de mise en scène donne à voir donc au spectateur  un ensemble de personnages qui ne sont ni bons ni méchants mais chaotiques.

À l'image de nos sociétés dites hypermodernes ou postmodernes où les valeurs ne sont plus seulement transmises de manières verticales via les canaux traditionnels de l'état nation  : famille, institution scolaire, religion...mais diffuses et soumises, dans un monde en cours de globalisation, à contestation,  réévaluation, hybridation,  à travers les nouveaux médias plus horizontaux et de dimension a-territoriale que sont  les nouvelles technologies de communication et où chacun pour le meilleur comme pour le pire, est libre de faire ses courses où bon lui semble afin de cultiver son jardin selon sa propre cohérence.

Koffi Kwahulé est un auteur contemporain qui a quelque chose à dire et le travail du metteur en scène Sébastien Bournac avec ses comédiens  mérite le détour même si l'entrée dans la pièce par la porte  de l'état psychologique plutôt que par celle du jeu et le désir de faire swinguer le texte me semble discutable.

Discutable pour plusieurs raisons : premièrement celui qui parle n'est pas explicitement nommé ; deuxièmement, il est possible d'émettre l'hypothèse que c'est la musique qui dans le processus d'écriture de Koffi Kwahulé conduit à un état psychologique plutôt que l'inverse ; troisièmement l'approche par le jeu pourrait révéler une choralité latente malgré l'aspect chaotique de personnages à la fois très bien dessinés et niés ; quatrièmement, par hypothèse, c'est la quête, du commun, de ce qui fait lien,  de la choralité en apparence absente qui révèle l'indicible et suscite le sentiment de communion au-delà la violence qui déchire la conscience, transporte le sujet en dehors du monde des humains et d'où il ne peut revenir qu'en retrouvant en lui ce qui fait lien. Mais ce ne sont là que des hypothèses suscitées par une belle proposition.

Charles Zindor

 

 

La Mélancolie des barbares

Une création de la Compagnie Tabula Rasa
Mise en scène Sébastien Bournac
Collaboration artistique Ali Esmili

Avec
François-Xavier Borrel
Marie-Lis Cabrières
Ali Esmili
Romain Francisco
Fany Germond
Philippe Girard
Nicolas Giret-Famin
Mireille Herbstmeyer
Lisa Hours

Scénographie Arnaud Lucas

Création lumières
Nathalie Perrier
Création sonore Tom A. Reboul
Création vidéo Dominique Réquillard
Création costumes Noémie Le Tily
Régie générale Loïc Andraud
Photographie François Passerini
Maquillage Catherine Lobgeois
Administration Olivier Gal