ELLA

Spectacle vu à La Coursive Scène Nationale de La Rochelle le 26 février 2018

En tournée :

Le TAP Scène Nationale de Poitiers les 12 et 13 mars 2018

Le Gallia Scène Conventionnée de Saintes le 16 mars 2018

Le Théâtre d’Angoulême Scène Nationale les 21 et 23 mars puis du 26 au 29 mars 2018

 

Ella loupePhoto Guy Delahaye 

En scène, la trajectoire d’une vie qui prend naissance en Allemagne au début de la première guerre mondiale, et qui va traverser une partie du XXème siècle. Ella raconte surtout la survie d’une déshéritée de tout : fortune, affection, protection et culture. Un texte d’une âpreté totale que le jeu de Marion Bernède et la mise en scène d’Yves Beaunesne éclairent d’espoir et d’humanité.

Elle le dit elle-même dès qu’elle apparaît sur scène : tellement battue par son père pendant toute son enfance puis vendue sur annonce à vingt-et-un ans à un marchand de bestiaux qui en fera sa femme de souffrance, qu’elle en est devenue idiote. C’est un discours frontal, sans faux-semblant que divulgue ce personnage simple. Sa force est de dire les choses, sans jugement, sans plainte non plus. Pourtant la vie qu’elle raconte à un visiteur invisible à qui elle ne cesse de proposer un café – fil conducteur de ce monologue ancré dans la réalité par une table et une chaise en bois – cette vie n’est qu’une suite de vicissitudes, de violences, de brutalités. Elle va d’ailleurs passer une partie de son existence à entrer et sortir d’enfermements divers : en mariage forcé, en asile, en prison… tous institutions carcérales brimades du genre humain.

C’est une période peu amène, en Allemagne, pour les fous ou ceux que l’on considérait comme tel. À l’heure de la montée du nazisme et durant la deuxième guerre mondiale, elle parvient assez miraculeusement à échapper à l’extermination systématique. Mais on la stérilise contre sa volonté pour l’empêcher d’avoir d’autres enfants dont elle ne saurait s’occuper… elle-même en convient. Elle se rend compte que parfois la réalité lui échappe. Une forme de lucidité sans colère qui nous touche par son absence de révolte.

Pourtant, le texte d’Herbert Achternbusch laisse la grande Histoire en paysage lointain. Hormis une allusion à un médecin SS qu’elle doit consulter un jour pour décider d’un nouvel enfermement, l’objet du récit n’est pas l’Histoire même si l’errance de son personnage dessine une géographie poétique des villes de ce pays – autre enfermement. C’est la perception intime de cette femme que l’auteur tente de rendre. Il y est plus question de ressenti et de narration que de réflexion. Et la courbe de cet esprit flottant suit des volutes parfois surprenantes, revient en arrière, bondit dans le lointain, s’égare dans le détail : une écriture au service d’une conscience particulière.

Le jeu de Clotilde Mollet, qui incarne dans la moindre fibre ce personnage, est lui aussi d’une apparence décousue, mais il suit les va-et-vient déroutants de ce personnage étrange de tant de simplicité. Pareil pour ses évolutions au plateau où toute une chorégraphie s’orchestre avec la chaise et la table, qu’elle traîne, porte et renverse comme une enfant ferait de ses jouets, de ses poupées. Quelque chose d’enfantin qui ne cesse de transpirer de cette mise en scène et qui délaye la noirceur du texte.

Derrière elle, sur le plateau, Camille Rocailleux fait sonner ses bruitages et ses sons comme si une mélodie intérieure tentait de poindre dans le cerveau d’Ella. Il est une présence invisible pour elle qui crée un espace sonore semblable à l’étrangeté qu’elle-même doit ressentir face au monde qui l’a fait naître.

Brunó Fougniès

 

Ella

Texte de Herbert Achternbusch
Mise en scène Yves Beaunesne

Dramaturgie Marion Bernède
Scénographie et vidéo Damien Caille-Perret
Lumières Nathalie Perrier
Création musicale Camille Rocailleux
Création costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillages et coiffures Kuno Schlegelmilch
Assistanat à la mise en scène Marie Clavaguera-Pratx

Avec Clotilde Mollet et Camille Rocailleux

 

Mis en ligne le 1er mars 2018