CATHERINE ET CHRISTIAN (FIN DE PARTIE)

TNBA – Théâtre National Bordeaux Aquitaine
3, place Pierre Renaudel 
33800 BORDEAUX
05 56 33 36 80

Du 08 au 11 mars 2017.
mardi au vendredi 20h
Samedi 19h

le 28 mars 2017 – Théâtre 9 (Le Blanc-Mesnil)

 

loupe 

Sans ambages, les lumières de la salle sont encore allumées quand Catherine (Eckerlé) et Christian (Drillaud) apparaissent sur grand écran. Répondant non sans une certaine espièglerie à la fois tendre et sincère à quelques questions, le couple incite en retour à nous interroger face à notre propre disparition. L'écran s'éteint sur un "au revoir" simple et amusé plutôt qu'un "adieu" tragique.

Saut dans le temps: la première séquence s'ouvre dans un restaurant au retour des funérailles de leur père Christian, puis de leur mère Catherine. "Catherine et Christian (fin de partie)" présente une mosaïque funèbre post mortem en quatre séquences: quatre situations, quatre frères d'un côté, trois soeurs de l'autre, deux deuils à deux moments différents du repas.

Généralement entendue comme lieu de débats ou de différends propice aux règlements d'histoires de famille lors d'événement, la table devient ici le pivot non pas sur mais autour duquel vont se jouer les retrouvailles.

Forçant à la fois le déplacement des conventions et bousculant les comédiens par une écriture d'improvisation, Julie Deliquet, la metteuse en scène, entend provoquer les discussions dans le hors champs du centre de table.

En contournant ce dernier, elle saute les nœuds familiaux, détourne le piège de situations trop personnelles. La proposition d'écriture et d’improvisation dramaturgique sur scène, inhérente au travail du collectif "In Vitro", empêche le spectateur d'être pris en otage dans un certain pathos, ou de verser dans la facilité d'un contre-pied comique forcé qui désamorcerait le tragique des situations. Ainsi, toujours en coins de table et jamais au centre de la cène, les conflits à coeur ouverts servis en plat principal et échauffés par l'alcool n'existent pas, sinon par ellipse. Retirer le menu, c'est amputer l'intime, impossible dès lors pour le spectateur de voir le comédien mettre les pieds dans le plat, et du reste, on ne nous y invite pas.

Tricoter en périphérie des affaires de famille donne place à une pudeur doublée d'une certaine retenue. En loin, on perçoit toutefois que les serviettes froissées dans l'enfance se mêlent au linge devenu parfois sale, où les nœuds se font et se défont pour se resserrer autrement. On sent bien quelques tensions ci et là, mais savoir le fond des choses, le pourquoi des problèmes ne s'avère, au fond, pas véritablement nécessaire.

On devine cependant en filigrane comment s'est jouée l'enfance, les places dans les fratries, les rivalités par le prisme de l'éducation parentale, le modèle proposé et suivi. Si quelques disputes éclatent de façon assez soudaine voire disproportionnée mais furtive, on comprend que, dans un tel contexte funèbre, les sentiments sont exacerbés.

Le rythme se cale ainsi sur une atmosphère ambiante sans trop de relief, sans esclandre véritable et s'accorde dans la réserve, dans une finesse de nuances créées par cette distance du contour. Quelques moments nous viennent en loin mais toujours en sourdine: sitôt éclatés, sitôt étouffés. 

On reconnaît certains schémas entre reproduction héréditaire et tactique familiale inconsciente: rester muet dès lors que l'odeur du conflit se fait sentir, plutôt contourner ou éviter. Les comptes sont réglés à demi mots, sans que rien soit véritablement réglé, tressant le fil d'une constante qui entend éviter la rupture.

Suspendus aux dialogues, on sent la fêlure, on redoute l'anicroche du moindre faux pas, on appréhende le mauvais mot, celui qui pourrait faire basculer l'entente familiale, faire un accro dans ce délicat maillage fragile, fraîchement amputé de parents.

Les conversations évoluent donc à partir des points complexes d'un tissage qui se tricote et se détricote en un mot, comme les couples se font et se défont pour se refondre.

Les dialogues se brodent sur le fil ténu et sensible de réalités concrètes, et quand la réalité rattrape la symbolique: Que faire avec ce qui reste en héritage matériel? Que faire de l'urne pleine de cendres, de la maison familiale, foyer de plusieurs générations ? Que faire des souvenirs ancrés? De celui de ce vélo rouge refilé au deuxième frère, humilié de ne pas l'avoir reçu en cadeau ou encore de cette voiture-prison blanche attendant les samedis matins à la sortie du pensionnat? Quels stigmates ces événements ont-ils empreinté dans les comportements, dans les relations d'hier et d'aujourd'hui?

Le collectif "In vitro" invite le spectateur dans une chrysalide familiale, un faux huis clos transgénérationnel. In vivo, in vitro: créer et façonner à l'intérieur, travailler et reconfigurer, garder  la forme et la pensée en mouvements pour ne rien enfermer dans des cases, ne rien figer. Dans la furtivité de l'instant, de sa transformation subtile, le travail en processus de création s'affine comme si, à chaque fois, "In vitro" rejouait sur scène l'histoire de sa chrysalide d'une façon différente: répéter les choses pour les appréhender autrement et forcer le comédien à aller voir au-delà de ce qu'il peut proposer. "In vitro" donc, jusqu'à la libération du papillon, s'autoriser à quitter le cocon familial, à se défaire du fil d'Ariane arachnéen de l'enfance pour créer et suivre son  propre fil à soi: au présent, en tant qu'adulte.

Cette "fin de partie" entend accepter la disparition de Catherine et Christian comme un cadeau de résilience, résonnant avec la parole de Christian, à savoir "que penser à moi de [les] rende pas malheureux". Le père incite les enfants à annihiler l'héritage matériel pour tenter de s'émanciper des racines généalogiques. Mettre les voiles donc.

Cynthia Brésolin.

 

Catherine et Christian (fin de partie)

Avec
Julie André
Gwendal Anglade
Éric Charon
Olivier Faliez
Pascale Fournier
Magaly Godenaire
Julie Jacovella 
Jean-Christophe Laurier
Agnès Ramy
Richard Sandra
David Seigneur
Avec la complicité de
Catherine Eckerlé
et Christian Drillaud 

Assistante à la mise en scène Julie Jacovella
Scénographie Julie Deliquet et Charlotte Maurel 

Lumières Jean-Pierre Michel et Laura Sueur
Musique Mathieu Boccaren

 

Mis en ligne le 10 mars 2017