ANTIGONE

héâtre Sorano-Jules Julien
35 allées Jules Guesde 
31000 Toulouse 
05 81 917 919

 

Photo Brice Devos

Antigone neutralisée

Antigone, d’après Bertolt Brecht (1898-1956) suivant une traduction de l’Antigone de Sophocle(495-406 av. J.C.) par Friedrich Hölderlin (1770-1843).

L’Antigone de Brecht suit la structure de Sophocle mais dans cette version Étéocle et Polynice ne s’affrontent pas pour le pouvoir. Le conflit en cours est une guerre d’agression impérialiste. Elle est menée dans le but de s’accaparer des minerais de fer d’Argos. Elle est conduite par Créon et soutenue par les bourgeois, le chœur des anciens qui reçoivent leur part du butin. Sur le champ de bataille tombe Étéocle. Écœuré, Polynice déserte. Créon le tue, ordonne que le corps soit abandonné aux vautours et aux chiens et menace de mort quiconque osera désobéir à sa fatwa.

Antigone demande à sa sœur (Ismène) de l’aide pour enterrer son frère. Ismène refuse. Elle justifie son refus par sa faiblesse face au pouvoir. Antigone, jette une poignée de poussière sur le corps de Polynice, effectue le rituel dû aux morts. Elle est arrêtée. Face à Créon, elle assume son acte. Elle est condamnée à mort. Créon au fur et à mesure de la pièce se retrouve isolé, Hémon son fils fiancé d’Antigone, Ismène, Tirésias le devin, le chœur des Anciens, les Thébains sont contre son refus de traiter le mort comme il convient et réclament le retour de leurs enfants partis se battre à Argos. Mais Créon est le chef et un bon chef ça décide tout seul et même quand il a tort, il a quand même raison jusqu’à ce qu’il apprenne la mort d’Antigone, la mort d’Hémon, la mort de Mégaré, son fils, tombé sur le champ de bataille et la débâcle de l’armée impérialiste. Alors tombe Créon, le tyran qui voulait épurer Thèbes de tous ceux qui le contestaient.

Que veut Antigone ? Elle veut seulement enterrer son frère.  Mais ce faisant elle pose une limite au pouvoir et le refus du pouvoir de reconnaître cette limite la conduit à l’isolement et sa mise en procès par les représentants des différents corps : Antigone appartenant à la famille au pouvoir mais proche du peuple, Ismène plus proche des valeurs traditionnelles et bourgeoises, Hémon chef des soldats d’élite, le chœur des anciens représentant de la classe bourgeoise, Tirésias l’aveugle, le devin médiateur du visible et de l’invisible, des bêtes et des hommes.

Mais le metteur en scène par son refus de caractériser les personnages, par son refus de respecter l’idée de chœur comme représentant d’un corps constitué, par son refus de mettre en lumière  la structure sociale, par l’usage abusif de la technologie, par sa volonté de créer des effets de distanciation à tout prix, par son désir de paraître en vogue plutôt que d’accepter la part archaïque du théâtre dans un monde postmoderne ou hypermoderne,  par son refus de respecter la structure dramatique de la pièce fini  par  en rendre obscur le propos et on  perçoit difficilement, très difficilement la mise en procès du pouvoir,  oubliant peut-être qu’Antigone est la première pièce adaptée et mise en scène par Brecht de retour d’exil après la chute du troisième Reich, que le théâtre de Brecht est aussi un théâtre du discours, un texte avec lequel les comédiens doivent apprendre à jongler et surtout faire entendre.  Pourquoi Brecht, alors âgé de 47 ans qui en avait 16 en 1914, a-t-il choisi Antigone pour son retour d’exil ?

Mais si la mise en procès du pouvoir, si servir le texte ne sont pas les objectifs principaux de la mise en scène existe-t-il un autre objectif ?

Antigone féministe adepte de la non-violence ?

 Le metteur en scène semble s’être intéressé à la méthode de résistance d’Antigone plutôt qu’au pourquoi de sa résistance. Et cette méthode, c’est celle de la non-violence.  Plusieurs éléments de la mise en scène vont dans le sens de cette lecture.

Premièrement : chaque spectateur a reçu un petit badge en entrant dans la salle. Ce badge représente un poing blanc sur un fond rouge. Au dessus de ce point on peut lire, écrit en noir : Antigone. Ce poing est l’emblème d’Otpor. Otpor est un mouvement de lutte né en Serbie en 1998 et le mot otpor dans la langue serbe signifie résistance. La non-violence est sa méthode d’action. La non-violence est nettoyée de toute portée éthique elle est utilisée comme stratégie et tactique de guerre asymétrique entre un pouvoir institué et un ensemble d’individus. En 2000 le mouvement Otpor a fortement contribué au renversement de Milosevic. Depuis, deux anciens dirigeants et membres créateurs d’Otpor ont crée CANVAS (centre pour l’application de la l’action non violente et de stratégie)  qui se donne pour objectif la diffusion de la culture de la non-violence dans le monde. Le centre forme aux techniques de la non-violence tout activiste indépendamment de son appartenance politique ou de ses idées ou de ses buts. Sa seule exigence au moment de l’inscription est l’engagement à la non-violence. Ce poing levé dessiné par les graphistes d’Otpor est devenu un symbole utilisé dans quasiment toutes les révolutions dites ‘‘ révolutions de couleur’’ Kirghizistan, Ukraine, Tunisie... Les activistes formés par le centre viennent de quarante six pays différents, les noms des ONG formées ne sont divulgués que sur l’accord de ces dernières.

Deuxièmement : la dernière image de la pièce est celle de l’actrice jouant Antigone, poing levé à la manière d’Otpor et seins nus à la manière des femen. Image qui, combinée à la scène où l’on voit le soldat chargé de veiller sur le corps de Polynice torturer Antigone lors de son arrestation (scène ajoutée par le metteur en scène),  confirme à la fois l’engagement pour la non-violence à la manière d’Otpor et l’interprétation féministe de la pièce.

Troisièmement : Lorsque Ismène veut rejoindre Antigone dans son combat face à Créon, elle pointe un révolver sur ce dernier. Antigone, condamnée par Créon, prend le révolver à Ismène et le lui remet.

Quatrièmement vue sous l’ angle de la non-violence, la rencontre dans l’espace scénique sous forme d’images vidéo de Martin Luther King et de Ben Laden avant le début de la pièce fait référence à deux modèles d’action celle de Martin Luther et de Gandhi : la non-violence et celle de Ben Laden : la violence.

Il apparaît donc que l’angle de lecture privilégié et proposé par le metteur en scène soit celui de la résistance féministe et non violente.

Cependant la distribution de badges fait partie des tactiques de communication de la révolution non-violente telle qu’elle est enseignée par Otpor/CANVAS.

Question : veut-on une révolution de couleur en France ? Qui ? Étant donné que les révolutions de couleur ont presque toutes conduit à l’affaiblissement, au chaos, à la faillite des états (Lybie, Ukraine…) où elles ont été mises en œuvre,  étant donné que l’origine des financements de ces organisations est loin d’être d’une très grande clarté, on peut se poser la question : qui serai(en)t  le ou les  bénéficiaire(s) de cette révolution de couleur  en France ? Quel projet ?

Vu le contexte international et national que viennent faire Otpor et les Femen sur la scène sans aucune distance critique ?

Ce que veut Antigone, c’est enterrer son frère. C’est très simple et très concret.  Imaginez que tous les Argiens et Argiennes fuyant la destruction de leur patrie par Thèbes pour les mines de fer soient accueillis par des Thébains et des Thébaines sans prendre l’avis de Créon et que chaque Thébain ou Thébaine soit prêt à mourir pour défendre le droit d’accueillir, recevoir qui ils veulent, chez eux, sans avoir à se justifier. Alors exhiber ses petits seins, aussi mignons soient-ils, deviendrait parfaitement dérisoire.

Au-delà de nos petits seins nus, de nos petits poings levés, de nos invitations à partouzer, de notre lutte :  la femelle contre le mâle, qui au passage fait  bien les affaires de Léviathan,  n’avons nous donc plus rien à dire même avec une figure telle qu’Antigone ?

 

Propos de spectateurs

Ma voisine de gauche a une cinquantaine d’année, elle applaudit mollement. Je lui demande :
— Avez-vous aimé ?
— Oui. Et vous ?
— Hem ! Qu’avez-vous aimé ?
— C’est très puissant !
— Qu’avez-vous trouvé de puissant ?
— L’énergie, l’engagement. Ils sont très puissants.
— Ah !
— Peut-être que plus tard, il me viendra autre chose.

À une autre, moins de vingt cinq ans, en 3e année d’une formation pour comédiens.
— Avez-vous aimé ?
— J’ai bien aimé la musique.
— No comment !

Une troisième, accompagnée par son ami.
­— Avez-vous aimé ?
— J’ai failli m’endormir. Mon copain ne voulait pas sortir ce soir. Heureusement que ça ne dure que 1h15.

Charles Zindor

 

Antigone

de Bertolt Brecht
suivant une traduction de l’Antigone de Sophocle par Friedrich Hölderlin
Traduction de Maurice Regnault
Mise en scène Grégory Bourut Blutack Theatre

Avec :
Jean-Baptiste Artigas,
Grégory Bourut,
Christian Brazier,
Marine Collet,
Lise Laffont.

Création Lumière Philippe Ferreira
Création Sonore Guillaume Haushalter
Costumes Blutack Theatre avec les conseils de Noémie Letily
Scénographie Grégory Bourut - Blutack Theatre
Construction du décor Jean Castellat

Administration / Production Lucie Chrétien
Production / diffusion Catherine Siriphoum

 

Mis en ligne le 17 février 2016