PRIX THEATRE 13 / JEUNES METTEURS EN SCENE



 

Le Prix Théâtre 13 / Jeunes Metteurs en Scène 2016 s’est terminé vendredi 1er juillet.

Six spectacles restaient en lice après presque 1 an d’élimination en plusieurs temps : sélection sur dossier, présentation d’un extrait 15 minutes en lecture et présentation d’un maximum de 30 minutes du spectacle. Un vrai marathon susceptible de ne garder que les plus motivés, les plus organisés et les plus intéressants jeunes metteurs en scène ayant postulé.

Au vu des six spectacles en compétition pour cette douzième session, l’on peut dégager une unité thématique : la recherche de son identité. Et plus particulièrement celle vécue lors du passage de l’enfance à l’âge adulte : les difficiles questionnements des origines, de l’héritage et des choix que l’on subit à l’adolescence.

Jeux d’Enfants et 2h14 se déroulent dans un collège au centre de cet abîme d’interrogations, Boucherie Rythmique et Les Prométhéens s’intéressent à l’héritage culturel familial à endosser ou non, Erzuli Dahomey questionne le devoir de mémoire et le vol que l’Histoire peut faire à l’héritage culturel, Noyez-moi inverse la thématique en montrant le recherche obsessionnelle d’un jeune homme pour la mémoire d’un autre atteint de la maladie d’Alzheimer.

 

Le palmarès 2016 a été divulgué lundi 4 juillet à la SACD partenaire de l’événement.

 

Prix du jury : Nelson-Rafaell Madel  pour Erzuli Dahomey, déesse de l'Amour de Jean-René Lemoine

Mention spéciale du concours : Marie-Line Vergnaux pour 2h14 de David Paquet

Prix du public : Dorothée Deblaton pour Jeux d'enfants de Robert Marasco

(Jury présidé par Jean-Claude Cotillard)

 

 

NOYEZ-MOI

 

 

Tout commence par une sorte de dédoublement… une identification d’un jeune homme pour un vieil homme qui se croisent comme si l’un était le futur de l’autre et vice versa. La situation est ainsi posée, mais fluctuante. Toute la pièce va se dérouler dans ces allers retours entre passé et présent, en courtes scènes. Nous allons ainsi suivre l’enquête que va mener ce jeune homme sur la mort énigmatique de son locataire. Une enquête qui va le mener à découverte de la vie de celui-ci. Une vie ordinaire.

La mise en scène d’Hubert Bolduc s’appuie sur une scénographie modulable, un écran de projection et une bande son élaborée qui rythment le déroulement de la pièce.

Cette scénographie monopolise une grande partie du spectacle. Lit à roulettes, panneau translucides réversibles à roulettes, fauteuils, tables, luminaire à roulettes forment et dessinent les successifs espaces et lieux où se déroulent les actions. A l’horizon, un écran où certains passages se jouent ou se doublent, se dédoublent, soulignent. Des scènes courtes, aux dialogues calibrées comme pour une œuvre cinématographique, prises sur le vif, qui vont à l’essentiel. Toute la compréhension de l’histoire s’effectue à mesure que la construction du spectacle se déroule. Ce sont des bribes, des ellipses inspirées de l’écriture scénaristique. On y perçoit  la volonté certaine de tenir le fil du propos en imposant un tempo, en lâchant au compte goutte les informations, en misant sur la curiosité du spectateur et une pincée d’étrange pour tenir en haleine.

C’est une manière de tenter d’aborder la maladie d’Alzheimer avec délicatesse, dosage, précautions extrêmes mais aussi un excès de forme qui laisse au second plan la vibration du vivant : les personnages deviennent un peu des accessoires réversibles et l’on perdu un peu le sens du propos dans ces nombreux changements de décors et de points de vue qui saccadent l’histoire et la surlignent excessivement.

 

Noyez-moi

Texte et mise en scène Hubert Bolduc
Assistance à la mise en scène Oriane Hooh
Décor Daphnée Lemieux Boivin
Costumes et environnement sonore Hubert Bolduc
Vidéo Romain Bau
Lumières Simon Cornevin

Avec Stéphane Bientz, Emilie Bourel, Guillaume Caubel, Armel Cessa, Marion Denys, Carmen Ferlan, Pauline Phelix, Denis Rolland        

 

ERZULI DAHOMEY, DEESSE DE L'AMOUR

 

 

La pièce raconte la collision entre deux vies, deux femmes qui sont en deuil de leur enfant. Elle raconte une rencontre entre cette mère africaine et cette mère européenne. Cela se passe de nos jours mais avec tout le poids du racisme ordinaire et de la cuisante mémoire de l’esclavage en toile de fond.

Moitié réaliste, moitié mystique, l’écriture de Jean-René Lemoine tente de tresser un pont entre ces deux mondes séparés par une indéniable rancœur et des abysses d’incompréhension. D’un côté, une famille bourgeoise qui vit dans une maison de province : une façade immaculée qui cache mal les désirs obscurs de la morale catholique (d’ailleurs le curé est là, présent, avec sa chair qui palpite dès qu’elle capte une présence d’adolescence). De l’autre, une famille africaine venue, par l’entremise de la mère, réclamer le corps du fils, enterré par mégarde à la place de l’autre fils. Derrière cette réclamation, il y a la revendication claire du droit au deuil, du droit au souvenir qui renvoie de toute force à l’histoire de l’esclavage. Est aussi présent une employée de maison, elle aussi noire, d’origine africaine, jadis de sang royal, aujourd’hui au service des autres.

Et le fantôme du mort vient hanter la maison…

Ce texte, dont le fond est revendicatif et à ce titre intéressant, bien que parfois flirtant avec les idées toutes faites et les poncifs, est assez desservi par les choix de mise en scène de Nelson-Rafaell Madel

 et surtout par le choix d’interprétation : tout est exagéré. Tous les personnages sont joués dans l’excès. Les voix presque parodiques (volume, intonations, intentions…) au point que l’originalité des personnages s’efface et qu’ils deviennent caricaturaux.

A noter une recherche d’esthétisme via des passages chorégraphiques tendance contemporains, qui s’intègrent un peu mécaniquement à l’histoire.

L’utilisation régulière de l’adresse directe au public dédramatise bizarrement certaines confrontations en voulant imposer plutôt que montrer.

 

Erzuli Dahomey, déesse de l'amour

De Jean-René Lemoine
Mise en scène Nelson-Rafaell Madel
Scénographie Nelson-Rafaell Madel
Lumières et collaboration à la scénographie Lucie Joliot
Musique Yiannis Plastiras
Collaboration chorégraphique Gilles Nicolas

Avec : Adrien bernard-Brunel, Alvie Biterno, Mexianu Medenou, Gilles Nicolas, Karine Pédurand, Claire Pouderoux, Emmanuel Rarnu

 

 

LES PROMÉTHÉENS

 

 

L’argument de cette pièce est la quête qu’une jeune fille entame pour retrouver ses origines à la mort de son père, grand magnat du pétrole. Le fil de l’histoire va nous révéler la vie du découvreur Tesla et nous faire voyager d’Europe aux USA en passant par l’Iran sur la période de la première moitié du 20ème siècle. Un spectacle épique et romanesque sur trame historique.

Le fond de scène est fermé par un gigantesque rideau d’ampoules. Pour le reste, le plateau est nu. Quelques découpes d’éclairages serviront à passer d’un lieu à l’autre et des costumes, changés vite en loges rapides, donneront l’illusion des différentes époques.

Le spectacle se présente comme une sorte de B. D. où la fiction se sert des faits historiques (et ici, les événements scientifiques de la biographie de Tesla) qui balisent une histoire particulièrement romancée, presque romantique.

Tout le rythme du spectacle repose sur la virtuosité des comédiens à passer d’une scène à l’autre, d’un rôle à l’autre. Ils sont six pour incarner une trentaine de personnages (certains en interprètent huit). Et cela fonctionne très bien. Les scènes, courtes pour la plupart, s’enchaînent avec célérité. Une bonne circulation a lieu sur le plateau.

L’auteur et metteur en scène Matthieu Hornuss présente avec ce spectacle une fantaisie vivante légère. Les dialogues sont efficaces et se contentent de l’essentiel. L’action prime, même si l’on découvre petit à petit, comme un fil rouge, la vie de Nikola Tesla, à qui l’on doit entre autre la généralisation du courant alternatif et qui a été de ceux, parmi les nombreux ingénieurs de l’époque, à être dépossédé de leurs inventions par l’entreprenant et sans scrupule Thomas Edison. Mais cette vie est finalement assez ordinaire malgré l’adjonction qu’y fait Matthieu Hornuss d’un secret susceptible de révolutionner toute l’économie mondiale… mais chut.

Le spectacle est soumis à l’urgence de vouloir raconter toutes ces scènes de quête, de démarches, de manière haletante. Un spectacle qu’il faut voir comme on feuillette un polar historique en BD. 

 

Les Prométhéens

Texte & Mise en scène: Matthieu Hornuss

Avec : Benjamin Brenière, Samuel Glaumé, Ludovic Laroche, Didier Niverd, Ariane Mourier et Sandra Parra

Musique : Christophe Charrier / Création Sonore : Ludovic Champagne / Création Lumière : Jean-Yves Perruchon / Costumes Marion Rebmann

Reprise du spectacle au Festival d’Avignon
Théâtre des Béliers – du 7 au 30 Juillet 2016

 

 

BOUCHERIE RYTHMIQUE

 

 

Cela commence par les percussions du Taiko que jouent trois musiciens juchés sur une estrade à cour fond de scène. Le Taiko est un art musical japonais traditionnel. Il se pratique sur de très grands tambours.

Puis vient la boucherie. La boucherie de père en fils. L’école de boucherie. L’art de trancher, d’éviscérer, de dénerver, de désosser etc.

Valentin de Carbonnières coud ici une histoire qui fait vivre à son personnage principal la dualité de ces deux univers. L’on passe de l’apprentissage de la boucherie dans notre occident français avec force détails en découpes (et des scènes empruntées ici et là) à l’initiation à cet art de la percussion assez méconnu qu’est le Taiko, au pays du Soleil Levant.

C’est un grand écart que le texte ni la mise en scène ne parvient pas à combler. µ
Cette mise en écho d’un art traditionnel avec une pratique artisanale (aussi enthousiaste soit-on vis-à-vis de l’artisanat et des leçons de vie qu’il peut murmurer) reste obscure et impalpable. On attend que l’idée jaillisse, le développement… il ne vient pas.

Même si le fond évoqué par l’auteur consiste en une interrogation vis-à-vis de l’héritage culturel (Que faire de cet héritage familial : l’adopter et devenir ce que l’on attend de nous (boucher) ou choisir sa propre voie ?), celui-ci ne se révèle pas au plateau et l’on reste face à deux idées qui restent étrangères l’une à l’autre. Manque un liant.

Les efforts remarquables des comédiens pour  rendre vivantes les scènes ne parviennent pas à créer l’unité nécessaire à la narration globale de l’histoire.

La mise en scène ne parvient pas, elle non plus, à faire le lien et l’on reste imperméable au sens du spectacle.

 

Boucherie rythmique

Texte et mise en scène Valentin de Carbonnières
Assistante à la mise en scène Claudia Bacos
Lumières Herve Coudert
Scénographie Camille Valat

Régie générale Camille Faure et Dan Imbert

Musique Paris Taiko Ensemble

Musiques d’ambiance Camille Rocailleux
Illustrations Lancelot de Carbonnières et André Pereira
Costumes Adeline André
Accessoires Claire Traverial, Florence Garcia et Audrey Montauban

Avec

Anthony Audoux,  Pierre Carbonnier, Guillaume Desmarchelier, Jean-Christophe Legendre, Fabienne Lucchetti, Sébastien Rajon, Serge Riaboukine, Toma Roche, Paul Spera, Éric Tinot, Karim Tougui, Lissa Trocme le musicien Tsin Zhao les chanteurs Armand de Carbonnière, Geoffroy et le Paris Taiko Ensemble.

 

 

2H14

 

 

Un fait divers dans un collège.

2h14 est l’heure fatidique où le monde va s’arrêter pour six adolescents. L’un d’eux va interrompre cette suite de jours, d’heures, de vexations, de malaises, de recherches de repères, d’expériences extrêmes, d’incompréhensions, d’enthousiasmes brimés que représente pour la plupart des enfants cette période de l’existence qui précède la vie d’adulte.

La pièce commence par une pantomime en masque neutre qui durant quelques minutes installe avec efficacité, drôlerie et rythme toute une série de scénettes et de traversées de plateau qui dessinent les personnages et les relations entre les collégiens que nous allons suivre durant l’heure qui suit.

Une structure scénographique simplifiée : un espace central vide, trois armoires vestiaires en fer pour illustrer les corridors et les couloirs de l’établissement. En avant-scène jardin un lampadaire, à cour un micro qui sera l’illustration de la radio du collège où pratique le « héros » de cette histoire.

Après ce début visuel éloquent, le spectacle va raconter les personnalités des protagonistes en évoquant sous forme de mini-scènes les semaines et les heures qui précèdent le fatidique 2h14.
Les dialogues sont réalistes. Les personnages portent chacun sa croix du malaise adolescent : la plupart sont mal dans leurs corps, dans leurs places, dans leurs rapports aux adultes et aux autres élèves. Ils sont typiques, particuliers et finalement comme déjà vus. Celle qui s’invente un régime inepte pour un corps de déesse, celui qui se crée un handicap pour séduire, celle qui abuse des tatouages pour prouver sa force d’esprit, celui qui s’évade dans l’abus d’hallucinogènes etc...  Certains passages sont drôles, d’autres plus banals bien que joués par les comédiens avec une vraie sincérité et une belle énergie.

Mais difficile de faire naître l’émotion avec un texte qui surfe sur la superficialité.

La mise en de Marie-Line Vergnaux, quoique faisant appel à de jolis passages chorégraphiques, ne parvient pas à faire sourdre en contrepoint la tonalité dramatique qui sous-tend toute l’histoire. Le temps passe malgré tout vite avec le rythme qu’elle impose mais l’émotion manque.

 

2h14

De David Paquet
Mise en scène Marie-Line Vergnaux

Assistante à la mise en scène Barbara Chaulet

Lumières Aleth Depeyre

Avec : Pauline Büttner, Ninon Defalvard, Grégoire Isvarine, Claire Olier,  Marc Patin, Alexandre Schreiber, Ludovic Thiévon

 

 

JEUX D'ENFANTS

 

 

Jeux d’Enfants se déroule dans un collège catholique à l’ancienne. Ecrit fin des années soixante par l’auteur américain Robert Marasco, ce texte retrace un passage de la vie des professeurs dans une sorte de moment de crise. Période durant laquelle la morale de ceux-ci explose tandis qu’un mal étrange s’empare des esprits des collégiens, comme si un esprit maléfique et corrupteur s’était répandu  dans tout l’établissement.

Parue au moment où sortait le film Orange mécanique, l’histoire de cette pièce est une sorte de miroir réfléchissant du film de Kubrick. On y parle de la révolte d’une jeunesse mesure face à un monde vieux, conventionnel, corrompu et impuissant. Mais le film a vieilli.

Dans Jeux d’Enfants, l’action se déroule dans la salle des profs et se concentre sur la rivalité entre deux professeurs, l’un de français (enthousiaste et sympathique au départ), l’autre de langues mortes (détestable et rétrograde de prime abord) avec pour témoin le jeune prof de sport (dynamique et optimiste de nature) et la hiérarchie catholique. Tout autour de cette salle et dans le gymnase attenant s’agitent les élèves : culottes courtes, chemisettes identiques, à l’anglaise. Ils rodent, épient, se chamaillent, se torturent, menaçants comme des spectres, des zombis. On les croirait envoûtés par un maléfice. Ils ne parlent pas. Paraissent dangereux, entre eux et pour les autres. Ils sont la menace.

Dans la scénographie de Lélia Demoisy, toute est gris : armoires, tables, chaises comme la grisaille des vieux bâtiments, des vieilles lubies.

Tout autour de cet univers sans saveur, Dorothée Deblaton a mis en place le ballet des élèves, leur violence contenue ou exprimée, un peu comme apparaissent les forces du mal dans les films d’horreurs : inhumains. Ils sont fantomatiques, espionnent et surgissent de la salle, du plateau ou des cintres. Enigmatiques et menaçants, leurs présences ne fait que s’affirmer à mesure que l’histoire avance.

Parallèlement à ce phénomène, la belle ordonnance de la vie dans la salle des profs s’effrite, et les passions occultes, les rivalités, les malversations se révèlent.

Dans un mode assez classique, les scènes des personnages principaux sont totalement crédibles avec des comédiens chevronnés. Pourtant, tous ne sont pas sur le même niveau sonore ce qui nuit un peu au confort de l’écoute.

La morale de cette histoire est que personne n’est innocent dans ce monde. Mais le discours reste très daté et les scènes écrites sur un ton et un rythme suranné.

 

Jeux d’Enfants

De Robert Marasco
Mise en scène Dorothée Deblaton
Traduction & adaptation Dorothée Deblaton
Assistant à la mise en scène Nicolas Gy-Guigou
Scénographie Lélia Demoisy
Costumes Hélène Foin-Coffe
Création sonore Nicolas Signat

Avec : Jérôme Keen, Philippe Catoire, Jonas Bloquet, Sébastien Martin, Jean-Philippe Mas, René Hernandez, Charles Perinel, Nicolas Gy-Guigou, Tanguy Mendrisse, William Chenel, Thimothé Boeda Binant

 

Bruno Fougniès

 

 

Mis en ligne le 7 juillet 2016