TCHERNOBYL FOREVER

Anis Gras/Le Lieu de l’Autre
55 Avenue Laplace
94110 Arcueil
01 49 12 03 29

Jusqu’au 30 avril
mardi et samedi à 21h
mercredi, jeudi, vendredi à 19h30

 

Tchernobyl Forever loupe Photo © Alain-Gilles Bastide

Cela fait trente ans que la centrale de Tchernobyl a explosé, tout là-bas, en Ukraine. Dans les jours qui suivirent des nuages radioactifs se dispersèrent sur la moitié du globe, en Europe, en orient, en Inde, en Chine et jusqu’au-delà des mers et des océans : Japon, États-Unis, Canada. Une petite armée de pompiers et de « liquidateurs » procédèrent, durant les mois qui suivirent, au nettoyage de l’immense région irradiée par cette explosion : ils tuèrent les animaux errants et sauvages, ramassèrent les poussières radioactives, coupèrent les réseaux électriques et les canalisations d’eau courante. D’autres, des ouvriers, procédèrent à l’élaboration d’un premier sarcophage pour enfermer le réacteur en fusion. Et la police, l’armée firent évacuer 485 villages aux alentours de la centrale… des villages morts.

Depuis, toute la région est contaminée, presque tous ceux qui procédèrent au nettoyage n’ont pas survécu aux multiples cancers et pourtant des centaines de milliers d’habitants continuent de vivre dans des zones irradiées.

 Aujourd’hui, on ne peut pas savoir de ce qu’il advient des vingt tonnes de matériaux nucléaires en action sous le béton du sarcophage. Ce que l’on sait c’est que certaines substances radioactives disséminées partout mettront des milliards d’années pour se désintégrer.

Avec ce spectacle, Stéphanie Loïk ne raconte pas une évocation du passé, ni même seulement une histoire du présent mais une tragédie de l’avenir : celle qui va perdurer, celle qui attend le monde et les humains… Nous tous.

La thématique de ce spectacle est d’une force colossale, mais la mise en scène, la mise en œuvre faite par Stéphanie Loïk est elle aussi d’une puissance exceptionnelle. Comme elle en a l’habitude depuis quelques créations (dont dernièrement « La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement »), la metteur en scène cherche à faire passer le sens des textes qu’elle défend par le seul médian des comédiennes et des comédiens : leurs corps, leurs gestes, leurs voix.

Un travail immense, d’une précision scientifique – tant du corps, des déplacements, des rythmes, des chants, des gestes – transforme ces interprètes en des êtres presque surnaturels, liés entre eux par une sorte de corps commun impalpable, invisible, qui les transfigure par moment en Chœur, une unité racontant la multiplicité des destins racontés au travers des mots d’Alain-Gilles Bastide.

Et soudain, la profération du texte, la gestuel, la chorégraphie transforment l’acte théâtral en sacré : la tragédie peut s’exprimer à travers les trois interprètes qui sont comme une humanité à trois têtes.

Et elle est bouleversante cette tragédie car elle est soudain une force active qui touche chaque spectateur. Elle est ce que la tragédie grecque devait être pour les Athéniens : une sorte d’acte à la fois libérateur et unificateur. Une cérémonie où les forces du destin et des hommes entraient en lutte, où il était possible de pleurer sur l’injustice de l’existence tout en défiant les dieux, où devant la cité, l’effroi et l’espoir étaient en lice.

Un tel phénomène est une rareté totale. Quiconque rêve de palpiter au rythme d’une des tragédies de notre temps doit s’y précipiter. 

Car, sous le drame absolu raconté à travers les témoignages du très beau texte d’Alain-Gilles Bastide, elle est un appel à la responsabilité individuelle, à sa force personnelle, à son autonomie de pensée, à la citoyenneté mondialiste, puisqu’il faut une telle citoyenneté pour lutter contre l’aveugle sauvagerie des décideurs de l’économie mondiale libérale, qui eux sont inconscients, sauf de leur propre sauvegarde.

Vladimir Barbera, Aurore James et Elsa Ritter sont dans ce spectacle d’immenses acteurs dotés d’une maîtrise merveilleuse de leurs arts, qu’ils soient jeu, chant, danse.

Et les lumières de Gérard Gillot sont en harmonie avec les déplacements virevoltant des interprètes, les suivent, les habillent, les magnifient.

Bruno Fougniès

 

Tchernobyl Forever

D’après le Carnet de Voyage de Alain-Gilles Bastide
Adaptation et mise en scène Stéphanie Loïk
Lumières : Gérard Gillot
Musique et chef de choeur : Jacques Labarrière
Chants russes : Véra Ermakova
Assistante à la mise en scène et régie son : Ariane Blaise
Assistant Compagnie : Igor Oberg

Avec : Vladimir Barbera, Aurore James, Elsa Ritter

 

Mis en ligne le 28 avril 2016