SI & autres pièces courtes

Les déchargeurs
3, rue des Déchargeurs
75 001  Paris
Salle Vicky Messica du 17 janvier au 12 février 2012 à 19h30 / du mardi au samedi..
01 42 36 70 56


Photo Alejandro Guerrero

On croyait avoir fait le tour de Ionesco, … et puis, non. Après quelques considérations, en voix off, sur le métier d’écrivain et sa prétendue difficulté, on entre assez vite au cœur de l’univers de l’auteur de « La leçon ».

Ce pionnier du théâtre de l’absurde, gagné sur le tard par le souci de laisser un message, a commencé par écrire une œuvre tout à la fois potache et joyeuse : on raconte que c’est un manuel de conversation pour étudiants étrangers qui lui aurait inspiré ses premiers écrits théâtraux. C’est l’occasion de le vérifier ici. En effet, Emilie Chevrillon et Coralie Maniez ont choisi d’en monter une partie, de ces fameux « exercices de conversation, … » C’est tout à fait réjouissant. Et Ionesco ne se contente pas d’aligner des phrases avec des difficultés croissantes, des verbes irréguliers et des exceptions, il va plus loin. Il exagère, décortique le langage pour en faire  ressortir le côté mécanique. Il soigne sa chute. Ping-pong verbal, banalités assenées avec un aplomb impeccable, mouvements étudiés, du beau travail.

Ce Ionesco-là annonce Roland Dubillard. Il s’agit donc de mettre un personnage (ou deux, ou trois) sur scène et de les faire parler, de tout, de rien. Ainsi commence le théâtre.

Avec, entre autres « l’avenir est dans les œufs », « le nouveau locataire » est une des premières pièces de Ionesco. Peu après « la cantatrice chauve », il continue à y explorer à la fois la vacuité et le côté souvent obsessionnel des rapports humains. Dans cette relation entre un locataire qui s’installe et sa gardienne, l’échange frôle souvent le vertige. Il nous donne à voir et à entendre un crescendo volubile (qui frôle le délire) comme l’accumulation d’objets et de meubles menace la raison du spectateur qui n’en peut mais. Des bruits tels que cliquetis, percussions, rythment le jeu des comédiens, plutôt inspirés. Ajoutons que la mise en scène sert parfaitement le propos jusqu’à la trouvaille de fin, très étonnante, que nous préférons ne pas dévoiler.

Nous avons également droit, durant cette même soirée à « Scène à quatre » du plus réjouissant effet. Ionesco se méfiait de la raison (qui mène à tout, comme dit l’autre, à condition d’en sortir) mais n’hésitait pas à tordre le cou au langage « signifiant ». Les mots, ces mots que l’on pousse devant soi comme avec un balai un troupeau de moutons, ces mots donc, sont piégés. Ils menacent d’exploser à tout moment : et on constate, finalement, que ce n’était que des mots, le souffle retombe, mais un autre personnage arrive et l’on peut reprendre la conversation où on l’avait laissée. On peut s’étriper, se déchirer, on peut même, comme à la fin d’un célèbre film des Marx brothers, être trois hommes à déclarer leur flamme à la même jeune femme avant de se jeter sur elle.

« Attention aux pots de fleurs ! » pourrait être le leit-motiv du spectacle, comme il est celui d’une des scènes qui le compose. Tout y est, la provocation gratuite, le fantastique sous-jacent, la banalité qui se fissure. Quant à la chanson à retenir, ce serait, évidemment celle où Emilie Chevrillon (déjà citée) plus les impeccables Guillaume Compiano, Paul de Launoy et Aurélien Rondeau viennent conclure (avec jeux de masques) cette soirée des plus rafraîchissantes.

 

Gérard NOEL 

 

 

Auteur : Eugène Ionesco

Mise en scène Emilie Chevrillon & Coralie Maniez

Production

Co-Réalisation Les Déchargeurs / Cie L'Obtus Obus

Lumières Dan Imbert