MOI CARAVAGE

Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs
75006 Paris.
Tel : 01 42 22 26 50
Jusqu'au 7 mars 2012
Du mardi au samedi à 20h, les dimanches à 17h
Relâche le 31 janvier 2012


Photo B. Ciuveiller

« En écrivant La course à l'abîme, roman qui tente de ressusciter par l'écriture la figure du peintre Caravage, je ne pensais pas voir jamais ressurgir celui-ci, sous mes yeux, en chair et en os, cheveux noirs et mine torturée, tel que je me l'étais imaginé, brûlé de désirs, violent, insoumis, possédé par l'ivresse du sacrifice et de la mort. Eh bien, c'est fait avec Cesare Capitani » Dominique Fernandez

Déjà l'affiche, très belle, interpelle, calquée sur le tableau « David montrant la tête de Goliath ». On sent le travail soigné, réfléchi, et cela augure bien de la suite.

Et on n'est pas déçu.

Cesare Capitani présente là une œuvre, forte, puissante, impressionnante à la fois de réalisme et d'imagination.

Œil noirci qui lui donne un regard halluciné, cheveu en bataille, visage mal rasé, chemise ouverte, pieds nus, il EST Le Caravage qui se raconte par-delà la mort, ne cachant rien de ses failles, de ses blessures, de ses colères, de ses penchants homosexuels.

Il se raconte et raconte aussi ses tableaux, les personnages qui lui ont servi de modèles, souvent petites frappes et prostituées. Jusqu'à sa fin prématurée et mystérieuse sur une plage d'Italie.

Destin bref qui n'est pas sans faire penser à Pasolini.

En même temps que le personnage, c'est toute une époque et tout un monde que le comédien par la seule force du mot et de l'expression, réussit à faire revivre, et on les voit Mario, Grégorio, le cardinal, le pape, la marquise, Giovanna.

C'est une âme tourmentée, violente, presque animale qui s'exprime et Cesare Capitani réalise là une superbe performance d'acteur, époustouflante et bouleversante, en peintre orgueilleux, colérique, enclin à la rixe, ombrageux, agressif, vorace mais terriblement humain et attachant jusque dans ses provocations, insufflant à sa vie du génie, de la passion, du désir, de la vitesse, de l'âme, du soufre, de la brutalité, de la beauté, comme s'il avait su qu'elle serait brève et qu'il fallait la dévorer à pleine dent.

Et on imagine sans peine les réactions horrifiées des bonnes âmes et de l'Inquisition devant cette peinture puissante, charnelle, chargée d'érotisme et de sensualité, transgressive, à la fois mystique et sordide, qui n'hésite pas à montrer la laideur, la saleté, l'usure.

Caravage est connu pour avoir utilisé la lumière d'une manière nouvelle. Avant lui, elle était plus diffuse, nuancée, harmonieuse. Chez lui elle devient plus brutale, basée sur le contraste entre ombre et lumière.

C'est dire si l'éclairage doit être important dans un spectacle qui lui est consacré.

Là aussi, c'est un sans-faute. Les lumières créées par Bernard Martinelli font de chaque scène un tableau, jouant avec maestria de bougies, boîtes noires et projecteurs judicieusement placés, créant ce fameux clair-obscur qui fit la renommée du peintre.

Dans sa mise en scène Stanislas Grassian joue avec bonheur la carte de la sobriété.

Pas de décor, pas de déplacements ni de gestes inutiles, et l'accompagnement par Laetitia Favart, comme un fantôme des personnages évoqués, qui souligne l'action avec juste ce qu'il faut de présence, par quelques répliques, des chants a cappella, des souffles.

Un spectacle fascinant qui donne envie de revoir les tableaux qu'on ne regardera pas de la même façon.

 

Nicole Bourbon

 

 

Moi Caravage

de Cesare Capitani d'après le roman de Dominique Fernandez La Course à l'abîme
Mise en scène : Stanislas Grassian
Création lumière : Bernard Martinelli

Avec : Cesare Capitani et Laetitia Favart

 

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