MÉDÉALAND

Studio Théâtre de Vitry
18, avenue de l’Insurrection
94400 Vitry-sur-Seine
01 46 81 75 50

Jusqu’au 16 février puis en tournée.

 

Médéaland loupe© Pierre Grosbois

 

Dans cette pièce écrite par l’autrice suédoise Sara Stridberg, nous sommes au plus près de l’âme du personnage de Médée. Nous sommes quasiment projetés dans son cerveau, à mi-chemin entre l’antique et l’actuel.

Médée, figure de la mythologie grecque, éprise de Jason (les argonautes, la Toison d’Or), tuera ses propres enfants lorsque celui-ci l’abandonnera pour épouser la princesse de Corinthe.

De la Médée antique, Sara Strinberg prend l’état civil pour créer une figure inscrite dans la réalité de notre présent : elle est étrangère, sans travail, à la rue depuis qu’elle a été répudiée par son mari Jason, et mère de deux enfants. Une figure que la situation suffit à rendre tragique. Ajoutez à cela une propension à boire et l’on se retrouve face à un être abandonné de tous que le pouvoir s’apprête à expulser du pays… une Indésirable dans le sens propre du terme. Le seul refuge à la porte de laquelle elle frappe est un hôpital : elle demande qu’on l’y héberge, une nuit ou deux, car elle a besoin de repos, elle a besoin de se retrouver.

C’est dans ce service psychiatrique hospitalier que vont se dérouler tous les événements de la pièce. Un décor blanc, mur, sol, clinique, inondé de la lumière glacée des néons.

Entre les apparitions imaginaires de sa mère et les visites – de la doctoresse, de Créon le roi de Corinthe, de Jason et de sa nouvelle future épouse – Médée ne cesse de subir le déferlement des conseils et des menaces. Tous viennent lui signifier qu’elle doit abandonner ce qui lui tord le ventre et l’obsède : cet amour pour Jason dont elle ne peut physiquement faire le deuil.

Dès le début de la pièce, et pour la seule fois et unique fois, Médée s’adresse directement au public, à l’aide d’un micro. Juste quelques phrases pour honnir l’amour, pour le traiter de vieillerie maladive que le monde moderne doit éradiquer : « L’amour, c’est le gaz carbonique du sang. L’amour, c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants. » Ce court prologue installe le propos central de l’histoire. Pour le reste, nous serons juste observateurs comme rejetés derrière les murs de l’hôpital, témoins voyeurs et impuissants.

Ensuite vient tout le déroulement du drame. C’est une double lutte : l’une, traitée presque comme une maladie, est ce mal, cette souffrance que ressent Médée dans son corps, dans son âme, cet abandon qui ne cesse de l’écorcher, qu’elle soigne avec l’alcool et les médicaments. L’autre lutte est celle contre ce pouvoir qui veut l’expulser du pays, la transformer en apatride, comme s’il avait été décidé de l’extraire de l’espèce humaine. Pour rester, elle va jusqu’à donner ce qui lui reste, sa beauté, son corps désirable.

Le véritable fil de l’histoire réside dans le chemin qui va mener Médée jusqu’au meurtre de ses propres enfants, et le meurtre de sa rivale et de son père. Car on comprend que si l’héroïne de Sara Stridsberg demande de l’aide, c’est pour éviter la folie meurtrière dont elle se sent capable. Mais hélas, en face d’elle, l’administration et finalement la médecine et même les apparitions de sa mère, ne font que la pousser toujours plus loin vers l’irréparable. Un peu comme si elle était coupable de naissance. Ainsi, le monstre mythique, ce personnage dérive alors vers une victime expiatrice, un être tragique dont la passion trop dévorante met en péril l’ordre social.

Il y a également dans ce texte, un violent plaidoyer contre l’ordre et le pouvoir masculin. Les deux hommes, Créon et Jason, ont en commun la même veulerie, doublée d’une même immoralité sensuelle, d’une même capacité d’oubli.

Maud le Grevellec incarne une Médée directement inspirée de la louve, dans sa démarche, ses allers-retours incessants, une louve faite pour les grands espaces et qu’on enferme, ou qui veut être enfermée. Elle est toute en animalité, en violence, en douleur.

Face à elle, Julien Drion incarne un Jason fade et impersonnel, pragmatique, sans état d’âme : d’un réalisme en complète opposition avec la passion qu’il déclenche.

Un personnage plus complexe fait aussi partie de l’histoire : la déesse, interprétée par Grétel Delattre. Elle joue en fait trois personnages qui balisent de plus en plus précisément le chemin où s’égare Médée : une sorte de fonctionnaire de justice d’abord, puis une doctoresse, puis une conseillère occulte, magique. Elle est tel le destin, elle la dirige lentement vers l’inéluctable, avec son ton parfois ironique, parfois persuasif, parfois indifférent, contrepoids lucide, implacable, d’une beauté froide, insensible.

Jacques Osinski crée une mise en scène incluse dans un décor très présent, qui oscille entre le glacé uniforme de l’univers clinique et des lumières blanches, et la chaleur incandescente qui semble brûler au cœur du jeu Maud le Grevellec.

Pour passer des scènes, des univers, des visions, des visites différentes qui fondent la trame, il a fait appel à un musicien, posé au bord du plateau, bardé de séquenceurs et d’une guitare électrique qui habille les changements de décor d’interventions musicales et sonores.

Un univers visuel et sonore qui donne toute la mesure de Médéaland, le pays de Médée, où elle paraît seule humaine dans toute sa fragilité face à un monde qui ne l’est pas.

Bruno Fougniès

 

Médéaland

Texte Sara Stridsberg

Traduction Marianne Ségol-Samoy 
Mise en scène Jacques Osinski
Dramaturgie Marie Potonet

Scénographie Christophe Ouvrard
Lumière Catherine Verheyde
Costumes Hélène Kritikos
Musique Dayan Korolic 

Avec : 
Caroline Chaniolleau, Grétel Delattre, Noémie Develay-Ressiguier, Julien Drion, Jean-Claude Frissung, Delphine Hecquet, Maud Le Grévellec et Dayan Korolic (musicien) 

 

Mis en ligne le 25 février 2015

Merci de cliquer sur J'aime