MALADIE DE LA JEUNESSE

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre
75012 Paris
01 43 28 36 36

Jusqu’au 14 février
du mardi au samedi à 20h30
le dimanche à 16h30

Maladie de la jeunesse loupe Photos © Olivier Allard

D’emblée jeté devant un groupe d’étudiants en médecine en plein bizutage. La crudité des mots, des gestes, des humiliations et l’intellectualisme des termes médicaux en vrac, pêle-mêle sur le plateau. Des blouses blanches avec des maladies inscrites au dos. Jeu qui reviendra de manière récurrente par la suite.  Mais bizutage. Une étudiante malchanceuse écope d’une noyade au fond d’un seau à laver le sol savamment rythmée par ses camarades de cours. Brutalité acceptée. Asphyxie qui rappelle certaines recherches de jouissances par strangulation.

C’est un théâtre sans préambule, antipode du théâtre brechtien. L’impatience pulse dans les veines des sept comédiennes et comédiens. Ils ont l’âge de leurs rôles, sans fards, sans trucages. Vrais. Théâtre réaliste, hyperréaliste. Ils sont ceux qu’ils interprètent.

Philippe Baronnet projette la pièce de Bruckner (écrite en 1926) de nos jours. L’action se déroule dans une résidence d’étudiants. Les chambrées d’étudiants n’ont pas d’époque. Ceux-ci sont en médecine. Nulle censure. Ils préfigurent l’ambiance des salles de garde où l’humour sans limite, sans pudeur, cruel et cru sert de soupape aux équipes des hôpitaux confrontés chaque jour à la souffrance humaine.

Ils sont six, l’esprit bouillonnant de mots, d’idées, d’espoirs et de désillusions, le corps traversé par les désirs brûlants les plus impérieux, les plus fluctuants, possession, abandon, transgression.

Ils sont un espace de liberté : de paroles, de mœurs, de pensées.

Que vont-ils en faire ?

Construite en de courtes séquences, c’est un microcosme, une boîte de Petri où les jeunes organismes à étudier sont mis en culture médicinale mais sont surtout confrontés aux germes de la conscience progressive de soi, du passage de l’enfance à l’adulte, du dégoût, de la peur et de la fascination face au « tout est permis », face au « tout est vain » qui a enfiévré le monde occidental dans la grande remise en question de l’après 14-18 et la crise qui s’ensuivit.

Un parallélisme à un siècle d’intervalle que Philippe Baronnet met peut-être en avant comme la menace d’une nouvelle ère du fascisme. Pour ce faire, il fait scène après scène remonter le temps à ses personnages que l’on retrouve finalement en costumes des années folles. Mais le voyage dans le temps ne les change pas. Ils sont les mêmes. Ils se parlent en logorrhée universitaire ou bien se crient à cause de la violence qui leur troue le ventre. Alors on regarde cette mise en scène comme un scientifique qui s’amuse de l’agitation de ces humains, un peu frustré de toute émotion comme face à une étude trop formelle.

À la fin, dans une scène ajoutée au texte de Bruckner, l’indifférence triomphe, comme si ce siècle d’évolution n’avait aucune importance.

Alors qu’en ont-ils fait ? Rien.

Bruno Fougniès

 

Maladie de la jeunesse

De Ferdinand Bruckner, traduction Henri Christophe et Alexandre Plank
Mise en scène Philippe Baronnet
Scénographie Estelle Gautier
Lumière Lucas Delachaux
Regards et collaboration Jérôme Broggini,  Nine de Montal
Son Julien Lafosse
Construction décor Les ateliers du Préau

avec : Clémentine Allain, Thomas Fitterer, Clovis Fouin, Louise Grinberg, Félix Kysyl, Aure Rodenbour, Marion Trémontels

 

Mis en ligne le 21 janvier 2016