LUCRÈCE BORGIA

Théâtre de la commune
2 rue Edouard Poisson
93304 Aubervilliers
01 48 33 16 16

Jusqu'au 9 mars 2014, puis en tournée dans toute la France
Mercredi, jeudi et vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 16h

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Mis en ligne le 6 mars 2014

Lucrèce Borgia

Étrange destin que celui de cette pièce : acclamée à sa création, longtemps peu jouée, Lucrèce Borgia semble aujourd'hui connaître à nouveau un vif regain d'intérêt, comme en témoignent les différentes productions qui sont montées cette saison. Voici donc, après celle de Lucie Berelowitsch (avec Marina Hands) à l'Athénée mais avant celles de Denys Podalydès (avec Guillaume Galienne) au Français et de David Bobée (avec Béatrice Dalle) à Grignan, la version que propose Jean-Louis Benoit à la Commune.

Sa mise en scène prend le parti de la retenue plutôt que celui de l'excès, choisit l'élégance simple plutôt que l'exubérance des débordements (b)orgiaques. Aux somptueux ors des palais de Venise et de Ferrare il préfère  le contraste géométrique du blanc et du noir rompu par des intrusions d'un rouge que l'on sait assassin. L'atmosphère est froide et sévère, presque austère, et rendue inquiétante par la musique d'Angelo Badalamenti qui ponctue les changements de décors. Martin Loizillon prête sa blondeur chérubine à un Gennaro très enfantin et décidément candide, dépassé par le cours des événements, voire franchement stupide dans son obstination à ne pas comprendre la teneur véritable de l'amour que Lucrèce Borgia a pour lui. La volonté de Victor Hugo, on le sait, était de donner figure aimable au monstre, de parvenir à rendre presque charmante la plus démoniaque des femmes en la donnant à voir sous l'angle de la maternité. À cet égard, Nathalie Richard est une Lucrèce souffrante mais sage, humaine, très humaine… trop peut-être ? On aurait aimé qu'elle soit aussi plus sulfureuse, plus ambiguë et plus violente par sa difformité morale, en un mot plus folle dans l'épreuve du secret qui la dévore intérieurement.

Aussi les scènes les plus réussies sont celles qui emballent une scénographie statique, notamment grâce à l'excellent jeu d'acteur de Thierry Bosc qui campe un Gubetta délicieusement sarcastique et de Fabien Orcier un Don Alphonse tout en force brutale et colérique. C'est surtout le troisième acte qui est saisissant de beauté, car la tension y touche à son comble. D'abord lors du banquet au cours duquel le front de Gennaro est ceint d'une couronne de pacotille par la Negroni, faisant de lui une sorte de Hamlet hébété. Puis quand les moines-croque-morts pénètrent sur la scène, glaçant d'effroi les spectateurs en même temps que les seigneurs vénitiens qu'ils sont venus chercher.

La tragédie peut se refermer, c'est depuis longtemps qu'il est trop tard quand le mystère de l'origine de Gennaro se dévoile enfin.

Frédéric Manzini

 

Lucrèce Borgia

De Victor Hugo
Mise en scène : Jean-Louis Benoit assisté de Laurent Delvert
Scénographie : Jean Haas
Lumières : David Debrinay
Costumes : Marie Sartoux
Son : Madame Miniature
Régie générale : Laurent Berger

Avec : Anthony Audoux, Thierry Bosc, Ninon Brétécher, Laurent Delvert, Alexandre Jazédé, Martin Loizillon, Jonathan Moussali,  Fabien Orcier, Nathalie Richard et Maxime Taffanel