LONG VOYAGE DU JOUR À LA NUIT

Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun Paris 20e
Tél : 01 44 62 52 52
Jusqu'au 22 mars

Eugène O'Neill a été un des pionniers du renouveau du théâtre américain : dans la lignée de Strindberg ou Ibsen, il contribua à créer le théâtre psychologique, sur fond de mythe (Le deuil sied à Electre) ou de drames familiaux (le désir sous les ormes).  

Cette pièce-ci, fortement autobiographique, est une des dernières d'O'Neill. Il l'écrivit en 1941, à 53 ans : on s'y déchire, on rameute le passé, et de lourds secrets (le père est un raté qui boit, la mère se drogue, un des fils a la tuberculose…) éclatent peu à peu. Ce « Long voyage du jour à la nuit », fort long en effet, près de trois heures et demie, mérite l'attention. Et l'intérêt : ceci grâce au travail de Célie Pauthe, la metteure en scène qui imagine un décor de chambre d'hôtel et un personnage à cheveux gris (l'auteur lui-même ?) qui s'apprête à y séjourner. Surgissent alors, de la nuit, des fantômes, ceux de son frère et de ses parents. Les lumières s'allument, pauvres et tristes et la pièce peut vraiment commencer.

On ne saurait trop féliciter Philippe Duclos, dans le rôle du fils malade, double d'Eugène O'Neill. En vieil enfant décharné et pathétique, il revit son calvaire familial, mais retrouve foi et voix pour évoquer sa passion, l'océan. Valérie Dréville qui joue la mère est diaphane et terriblement présente quand on touche à son cher « petit bébé ». Pierre Baux compose avec nuance un personnage de fort en gueule qui aurait pu paraître simpliste. Quant à Alain Libolt, il fait du père un personnage complexe, à l'image du reste de la distribution : enthousiaste et dépressif à la fois, conscient du ratage de sa vie, traitant ses fils d'alcooliques en se versant une nouvelle rasade de whisky.

Des conflits, il y en a, bien sûr ; Les personnages se disputent à propos d'un rien, l'heure du repas ou une ampoule restée allumée. L'œuvre avance ainsi plus ou moins masquée et les raisons profondes de tout ceci viendront peu à peu. On pourrait comparer « Long voyage... » qui se passe entre huit heures du matin et minuit, à une sorte de symphonie avec thèmes accompagnant chacun des protagonistes, reprises avec variantes, et crescendos. La seconde partie est plus mesurée, moins heurtée, c'est l'heure des confidences et des réconciliations. Il ne faut donc surtout pas la manquer.

Une réplique de la mère, à l'acte 2, donne la tonalité générale : « Présent et passé ne font qu'un, n'est-ce pas ? Et le futur aussi. » O'Neill le savait bien, lui qui mit tellement de lui-même dans cette oeuvre, qu'il souhaitait qu'elle ne soit jouée que 25 ans après sa mort. Volonté qui ne fut pas respectée. En tout cas, la pièce revit pour nous entre ces murs dont les fleurs hideuses vous hanteront longtemps. En plus de tout le reste.  

 

Gérard NOEL

 

Mise en scène ; Célie PAUTHE

Avec Pierre BAUX, Valérie DREVILLE,

Philippe DUCLOS, Anne HOUDU et

Alain LIBOLT