LE REPAS DES FAUVES

Théâtre Michel
38, rue des Mathurins
75008 Paris

Du mardi au samedi à 21 h, matinées le samedi à 16 h 30 et le dimanche à 16 heures, relâche le lund

Un dîner presque parfait

Le dîner d'anniversaire de Sophie aurait pu être parfait : présence d'amis et mets approvisionnés au marché noir (l'action se passe dans les années 40). Seulement voilà : un attentat a lieu en bas de l'immeuble, deux gradés allemands sont tués et en guise de représailles des otages sont pris dans l'immeuble, deux par appartement.

Chez Sophie et Victor, le commandant SS laisse le choix aux amis rassemblés de les désigner parmi eux.

Cette reprise d'un film de Christian-Jaque (1964) tiré d'une nouvelle de Vahé Katcha est une belle réussite.

Sur ce  thème difficile, Julien Sibre, metteur en scène et interprète, livre  une fabuleuse illustration de l'humaine comédie.

Les huit comédiens sont excellents : Cyril Aubin, le docteur, Olivier Bouana et Caroline Victoria, les hôtes, Stéphanie Hédin, veuve de guerre tentée par la résistance, Pascal Casanova, affairiste invétéré, Jérémy Prévost l'aveugle, Julien Sibre, l'ami homosexuel, Pierrejean Pagès le commandant SS,  nous font vivre avec talent le dérangeant dilemme de cette situation extrême où chacun va être prêt à tout pour sauver sa vie. Tous convaincants ils nous ramènent à nous-mêmes, on s'imagine dans cette situation, comment réagirions-nous ? Sans doute comme eux et cela fait froid dans le dos. Nos misérables vies ont-elles tant d'importance que rien ne peut leur être supérieur ?

L'amitié peut-elle résister à la peur de mourir, cette peur qui va faire ressortir toutes les faiblesses, les lâchetés, les règlements de compte, cette rage de vivre qui peut aller jusqu'à rendre,  raciste, homophobe, cruel ?

C'est terrifiant, intelligent,  drôlement cruel et cruellement drôle. Car, et ce n'est pas la moindre des qualités de ce spectacle,  ce sujet lourd  arrive à être traité avec humour, un humour subtil qui fait ressortir la noirceur des situations, en soulignant l'intensité. Et paradoxalement on rit beaucoup alors qu'on ne s'y  attend pas.

La mise en scène est à la hauteur avec une trouvaille surprenante et superbe : des films d'archives et d'animation entrecoupent l'action, donnant à voir ce qui se passe à l'extérieur de ce huis-clos : l'attentat, le bombardement (impressionnant !), la tentative de fuite de l'un des protagonistes. Cyril Drouin, le réalisateur graphique, avec des images en noir et blanc tracées d'un trait sobre et abrupt  rappelant Persépolis de Marjane Satrapi, symbolise on ne peut mieux la violence du nazisme, avec  des SS se transformant en hydre tentaculaire glissant le long des escaliers à la recherche de leur proie ou encore les bombardiers se métamorphosant en vautours.

Le suspens va croissant et on se demande comment tout cela va finir. Les arguments des uns et des autres se déroulent et on ne sait plus qui est le plus ignoble du commandant SS qui a ordonné cet odieux marché ou des malheureux convives ?

Faut-il laisser faire le destin qui frappe en aveugle comme il l'a fait pour les deux allemands tués dans l'attentat ?

Le dénouement nous laisse un goût amer et nous ne vivrons sans doute plus nos réunions entre amis de la même façon.

 

Nicole Bourbon

 

 

Le repas des fauves

de Vahe Katcha
Mise en scène : Julien Sibre
Assistante à la mise en scène : Isabelle Brannens

Avec : Cyril Aubin (Dr Jean-Paul Pagnon), Olivier Bouana (Victor Pélissier), Pascal Casanova (André Lequebec), Stéphanie Hédin (Françoise), Pierrejean Pagès (commandant Kaubach), Jérémy Prévost (Pierre), Julien Sibre (Vincent), Caroline Victoria (Sophie Pélissier)

Lumières : Stéphane Loirat
Décor : Camille Duchemin
Costumes : Louise Rapp, Mélisande de Serres
Musique originale : Hedinski
Réalisation graphique : Cyril Drouin

 

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