LE RÉFORMATEUR

Le Théâtre de l'Œuvre
55 rue de Clichy
75009 Paris
01 44 53 88 88

Jusqu’au 11 octobre,
du mardi au samedi à 21h00, le dimanche à 15h00

 

Le réformateur loupe Photo Dunnara MEAS

Cela commence par une recette de cuisine. L’élaboration d’un menu pour le soir. Ce sera des nouilles. Tout est recette : les pensées, les humains, les sociétés et la bouffe.

Soliloque, monologue, dialogue de sourd. Serge Merlin qui interprète le rôle titre est enroulé dans un drap, une serviette sur la tête, enraciné dans un fauteuil « Voltaire ». Ridicule, pathétique et tonitruant personnage que ce philosophe post-Lumières, auteur du « Traité de la réforme du monde » pour lequel il attend dans quelques heures la visite du recteur de l’Université et du maire de la Ville de Salzbourg, qui vont venir lui livrer à domicile la distinction de « Docteur Honoris Causa ». Distinction que ce philosophe acerbe méprise mais qui le fascine malgré tout.

C’est un être qui ne lâche rien, comme un chien : il grogne, mord et geint. Presque tout le trahit, s’écroule, fout le camp, périclite… son corps, le monde, la vie qui est toujours irrémédiablement fatale.

Mais c’est aussi un être toujours vivant, âpre. L’obsession centrale de Thomas Bernhard, la vie, sa raison, sa fin.  Ce personnage-là est sans concession, boursouflé de conscient, ivre de puissance, et ne pouvant exister que dans l’espace restreint de sa puissance finalement : réduit à ne régner que sur son espace domestique et tyranniser sa compagne. Pas question d’aller à l’aventure ! Il flotte lui-même au bord de ses propres lèvres et sait que tout acte est la promesse d’une déception.

C’est le procès de la vie, de la nature, du monde, des choses, des êtres, des créatures humaines ou bestiales, soumises aux mêmes terreurs, aux mêmes appétits.

Tout est ici décapé : l’art, la culture antique, la mer, la montagne, le mieux, le pire, les œufs à la coque, trop mous, qu’importe.

Entre lui et sa compagne, c’est une relation toujours à la limite de la tyrannie. Un être qui a besoin de l’autre pour exister, le vampiriser, le dominer par tous les moyens possibles, même l’apitoiement, le misérabilisme, la menace, l’appel à la pitié, le mépris et la flagellation.

Serge Merlin, à cet exercice d’interprétation s’amuse à avancer sur le fil qui sépare l’enfance rieuse de l’adolescence perverse. Il se régale et nous régale. En face de lui, il faut une femme d’une réalité extrême, d’une humilité tenace, c’est Ruth Orthmann qui incarne cette épouse à la fois objet de tourments et seul être compatissant pour ce monstre d’homme.

André Engel dirige ce carnage humain avec une extrême sobriété : un décor en lignes pures mais qui délimite l’espace clos et protecteur et rend encore plus multiforme le personnage inventé par Thomas Bernhard, encore plus organique et imprévisible. La vie dans un univers sans.

Il y a une fascination à voir ce despote, acteur de sa propre vie comme si la vie elle-même était une scène de théâtre. Un texte noir, féroce mais chargé d’un humour sans concession qui nous emporte jusqu’à la fin. Sans fin. Car, ce fou misanthrope refusera jusqu’au bout de se soumettre au drame minable du quotidien. La seule question que posera l’acte tragique de la dernière minute sera : « Et mes nouilles ? »

Comme si rien ne pouvait couper l’infini appétit de vivre de cet humain.

Bruno Fougniès

 

Le réformateur

De Thomas Bernhard
Mise en scène André Engel
Assistante à la mise en scène Ruth Orthmann
Décors Nicky Rieti
Costumes Chantal de la Coste
Lumières André Diot
Son Pipo Gomes
Assistante à la mise en scène Ruth Orthmann
Coiffure Marie Luiset
Photo: Dunnara Meas

Avec : Serge Merlin, Ruth Orthmann, Gilles Kneusé

Mis en ligne le 19 septembre 2015

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