LE FIL D'ARIANE

Vingtième Théâtre
7, rue des Plâtrières
75020 Paris
Tel: 01 48 65 97 90
Vendredi 18 à 21h30, samedi 19 à 15h00 21h30 et dimanche 20 janvier 2013 à 21h30.

 

Le Fil d'Ariane est un spectacle vivant très complet et créatif inspiré de l'œuvre, de la vie, de la maladie et de la mort du célèbre philosophe et poète allemand Friedrich Nietzsche. Avec cette pièce, c'est quitte ou double. Soit on l'apprécie à sa juste valeur après avoir eu connaissance du monde conceptuel de Nietzsche à travers la lecture de son œuvre, soit on sort au milieu de la représentation faute d'en percevoir le contenu (trop ?) subtil…

Ainsi, à l'image de la vision que Nietzsche avait de lui-même et de son œuvre, Le Fil d'Ariane est un spectacle certes avantageusement inventif et (ré)créatif mais aussi outrageusement élitiste, dans le sens où il est porteur d'un message qui n'est à la portée que d'un public averti, éduqué voire spécialiste de la pensée nietzschienne. À ce titre, la lecture anticipée d'Ecce Homo n'est pas une entreprise vaine et inutile pour préparer la compréhension de cette pièce (sur)chargée en symboles et en références aux écrits et à la phraséologie du philosophe allemand.

Gigantesque farce automaniaque qui décrit sous forme de songe psychédélique la folie démentielle qui s'est emparée de Nietzsche au crépuscule de sa vie, Le Fil d'Ariane est un extraordinaire délire onirique et lyrique qui se veut le portrait quasi wagnerien des derniers jours du grand homme, brillamment conçu et interprété par Jacques Bachelier. L'Ariane de Daphné Proisy est particulièrement envoûtante et elle semble occuper tout l'espace scénique malgré son attitude en apparence neutre et statique, à la fois actrice et narratrice. Leurs échanges verbaux directs ou indirects donnent lieu à une incroyable intensité qui atteint son paroxysme dans la simultanéité de leur discours polyglotte. Tout au long de la pièce, les jeux de textes, de sons, de lumières et de vidéos sur fond de décors (é)mouvants se conjuguent et s'accordent d'ailleurs parfaitement avec l'évolution dynamique des personnages empreints de drame pour traduire poétiquement la dérive morale et mentale de Nietzsche. Quand on sait que ce spectacle a été élaboré de manière artisanale, avec peu de moyens financiers, on ne peut que louer la créativité artistique et scénique qui a abouti à une mise en scène aussi riche et complexe (trop ?).

Tantôt appelé par l'initiale de son nom, N., ou par le prénom de l'"incarnation" littéraire de son idéal de surhomme sage et sagace, Zarathoustra, Nietzsche apparaît comme un personnage bipolaire mortellement habité par sa propre pensée. Ironiquement, alors qu'il s'est toujours mis sur un piédestal en se présentant comme un penseur incompris digne de la postérité et en jugeant de manière hautaine et condescendante jusqu'à sa mère (et sa) patrie, la folie de Nietzsche le plonge au plus bas de la condition humaine, tant au niveau physique que psychique, au point qu‘il devra être interné et revenir sous la tutelle de sa mère, dans cette région natale qui l'a vu grandir et s'éduquer mais qu'il haïssait tant. D'une certaine manière, l'échelle de valeurs se retrouve inversée à travers ce même concept d'Umwertung qui lui était si cher.

À cette bipolarité inhérente à l'existentialisme torturé de Nietszche s'ajoute la mystique secrète de son amour platonique pour Cosima Wagner, l'épouse de son ancien meilleur ami, le célébrissime compositeur éponyme Richard Wagner. Elle sera la seule femme supérieure qu'il aimera jamais jusqu'à sa mort. Ne pouvant assumer les sentiments chastes et cérébraux qu'il éprouve à son égard, il vivra cet amour impossible sous la figure mythologique de Thésée, pendu au fil d'Ariane. Avec la transfiguration de l'Aigle, symbole de la sagesse de Zarathoustra et prédateur naturel des moutons décadents qui représentent le peuple inculte inconscient de la marche à suivre, Bachelier achève d'ériger Nietzsche comme le héraut et martyr de sa propre philosophie, héros et satyre de ses contemporains qui l'auront finalement reconnu à titre posthume.

 

Camille Grosjean

 

 

Le Fil d'Ariane

d'après les textes de Nietzsche, de La Mesnie H  – Cie Jacques Bachelier
Conception : Jacques Bachelier
Mise en scène : Jules Pan
Vidéo : Raphaël Siefert
Lumières : Xavier Martayan
Sons : Maxime Jeunesse
Chargée de production : Stéphanie Schott

Avec :
Jacques Bachelier : Frédéric N.
Daphné Proisy : Ariane
Marie Nirouët : La mère de N. / L'Âne
Joseph Leroux : Le médecin / L'Aigle / Le Berger
Jules Pan : Le Faucon / Le psychiatre / Le Serpent