LA PLACE ROYALE

Théâtre de l'Aquarium
La Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de manœuvre
75012 PARIS
01 43 74 99 61

Jusqu’au 1er février
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h00

 

La place Royale loupe

 

La Place Royale est une pièce écrite en 1634 par un Pierre Corneille de 28 ans. C’est une comédie. Une comédie de mœurs dont l’action se déroule à Paris, place Royale, devenue de nos jours place des Vosges.

Les personnages sont tous jeunes, tous célibataires, tous plus occupés par les affaires de cœur et de séduction que par la course de la terre autour du soleil. On les devine d’une classe aisée, nobles, et tous torturés par l’Amour. Oui, tous sont amoureux. Mais pas seulement.

Ils sont comme une bande d’une même génération, d’un même milieu, qui tous se connaissent car ils vivent dans les mêmes cercles et paradent dans les mêmes lieux. Ils sont soit amis, soit rivaux, soit reliés par des liens fraternels, bref des liens affectifs les tissent ensemble comme une toile commune. Corneille s’amuse à tirer sur ces liens pour en voir l’élasticité et la solidité. On croirait ce jeu auquel jouent les enfants, créant des figures géométrique avec leurs doigts à l’aide d’une bande élastique. C’est un jeu un peu pervers et très jouissif qui va se dérouler devant nous. Corneille, tel un démiurge, exerce la force de la volonté contre la force des sentiments, pour voir laquelle des deux cèdera en premier.

L’amour… Certains le recherchent, certains en jouissent, d’autres en souffrent. Faut-il succomber corps et âme à ce sentiment et mettre son être entier en esclavage ? Les personnages de cette pièce en ont des définitions différentes.

L’une, Angélique, prétend que le signe de l’amour véritable est une dépendance et une fidélité absolue à l’autre (au point de n’avoir de bonheur qu’auprès de l’âtre aimé, au point de ne plus voir personne d’autre que lui) un amour dépassant le romantisme, un amour équivalant à celui que demande Alceste à Célimène dans le Misanthrope, une dévotion quasi religieuse.

Phylis, elle, méprise cet amour obsessionnel : l’amour, pour elle, est de butiner, de multiplier les amoureux de manière à ne jamais être en manque. Mais elle dénigre l’amour trop fidèle de son amie dans un but beaucoup plus personnel, car elle intercède pour son frère, amoureux ignoré d’Angélique, et supplie pour lui l’aumône d’une geste ou d’un regard de la belle : ce qu’elle refuse.

Au centre de ce jeu, Alidor, heureux amoureux d’Angélique. Alidor, qui ressent cet amour aveuglant comme un tyran, décide de tuer cet amour dans le seul but de retrouver sa liberté. Il va tout faire pour qu’Angélique cesse à son tour de l’aimer.

Il s’agit ici de liberté d’action et de penser. Car, pour lui, sombrer dans cet amour total, c’est sacrifier plus que sa liberté, c’est se sacrifier lui-même. C’est comme rentrer en religion, n’être qu’une partie dérisoire de la création. C’est abdiquer l’orgueil de l’identité, du moi, du je. Il y a au fond de ce questionnement, une question de foi et un combat entre la réalité, la raison et l’espérance, la mystique.

François Rancillac fait encore preuve, en montant cette pièce, de son amour immodéré pour le théâtre. Il a la vertu d’essayer de combiner, à parts égales, l’intelligence et le sensible, le tragique et la respiration, le chaud et le froid. Cette mise en scène touche autant les neurones que les sens. Avec une extrême délicatesse. On peut lui reprocher un manque de chair et de sueur dans le travail qu’il demande à ses comédiens, mais c’est garder la distance nécessaire, pour rester maître du sens. Toute sa mise en scène tend ainsi vers l’épure en évitant volontairement tout systématisme.

Pour scénographie, un grand carré parqueté « à la Versailles » figure la place royale. C’est aussi un parquet de danse, et un lieu où l’on parade, où l’on drague, où l’on retrouve ses contemporains pour intriguer. De part et d’autre, six tables de maquillages surmontés de miroirs de loges où les personnages se préparent avant de jaillir sur le parquet - des loges dans la pénombre d’où ils surveillent également ce qui se passe, quand ils ne sont pas en jeu. Dans un coin du parquet, un crâne posé comme le signe ironique du temps qui se moque bien de tous les déchirements amoureux qui ont lieu là.

Des costumes sans date. Plutôt actuels. Pour la plupart. Sans empêcher la fantaisie multicolore d’un des personnages comiques de l’histoire, sorte de personnage ridicule jeté au milieu des palpitations cardiaques de tous les autres, qui agit comme une bulle de légèreté décalée, salutaire (Antoine Sastre).

Un peu dans le même registre, Linda Chaïb incarne une belle Phylis, toute en espièglerie, vivacité et innocente rouerie. Assane Timbo en Cléandre, l’ami d’Alidor, traverse le verbe de Corneille avec une clarté lumineuse et une aisance totale. Hélène Viviès est un trésor de vibration sensible et de technique : elle est entière, elle plonge et s’extirpe de son personnage comme un dauphin bondit et plonge dans les flots. Christophe Lampara incarne de toute sa puissance le personnage d’Alidor : son physique et son jeu détourne définitivement son personnage de tout romantisme. Il est cartésien, vivant, pris dans la dualité qui le déchire entre son cœur et son esprit, mais ce combat, exprimé lors d’un monologue, reste un peu trop à mi-chemin. Une cruauté, une violence, manque.

Pour finir, il faut saluer le travail fait sur les vers de Corneille par tous les comédiens : sans irrespect pour la diction, ils cherchent à rendre ce verbe audible et compréhensible par tous.

Bruno Fougniès

 

La place Royale

De Pierre Corneille
Mise en scène François Rancillac
Scénographie Raymond Sarti
Lumières Marie-Christine Soma
Costumes Sabine Siegwalt

Avec : Linda Chaïb, Christophe Laparra, Antoine Sastre, Nicolas Senty, Assane Timbo, Hélène Viviès

 

 

Mis en ligne le 14 janvier 2015

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