LA MOUETTE

Théâtre de l'Odéon
Odéon-Théâtre de l'Europe
Place de l'Odéon
75006 – Paris
01 44 85 40 40

Jusqu’au 25 juin 2016
Du mardi au samedi à 20h00 et le dimanche à 15h00

 

La Mouette loupePhoto © Arno Declair

Au début, quand dans un prologue ajouté il est question de réfugiés syriens sur un ton mi-concerné, mi-badin, on se demande si on va reconnaître La Mouette. Où sommes-nous au juste ? Que Thomas Ostermeier nous réserve-t-il donc pour sa première production en français avec des acteurs francophones ?

Du point de vue de la scénographie, rien que de l’élégamment sobre, sans ostentation. Outre la belle mise en lumière, ressortent les ponctuations rock (on aura reconnu David Bowie, le Velvet Underground, Sufjan Stevens, Jimi Hendrix et les Doors : que du très bon !) et  pour tout décor la peinture en noir, en direct et au rouleau de peintre en bâtiment d’un paysage de lac de montagne, qui s’estompe avant d’être repeint, puis repeint encore, et finalement couvert de noir, au rythme lent des actes qui passent et du temps qui s’écoule et qui finit par tout dévorer des rêves d’art, des espoirs de gloire, des désirs de liberté et, surtout, des illusions d’amour partagé.

L’avant-scène est occupée par un espace qui figure à la fois le ponton sur le lac (c’est-à-dire l’orchestre) et la scène du théâtre dans le théâtre. On se retrouve ainsi de plain-pied dans le débat sur la modernité de l’art dramatique qui est l’un des thèmes centraux de l’œuvre de Tchékhov. La mise en abyme est rendue plus aiguë par la version actualisée qui en est donnée : les roubles sont naturellement convertis en euros, les insultes adressées originellement par Arkadina au théâtre « décadent » concernent ici le théâtre « post-dramatique »… tandis que c’est Plateforme de Houellebecq qui fait figure de grille de lecture de l’humanité contemporaine, en lieu et place de Maupassant. Entre humour et distanciation, cette mise à jour fait gagner à la pièce, à l’évidence, une écoute nouvelle, plus fluide et finalement plus vraie.

Mais c’est surtout grâce aux comédiens qui la portent que cette Mouette de Tchékhov/Ostermeier est remarquable. Quel naturel ! Quelle clarté ! Libérés par une traduction nouvelle et assez libre signée Olivier Cadiot, autorisés à faire des inserts au texte de Tchékhov, ils montrent tous beaucoup de justesse dans leur jeu. C’est particulièrement le cas pour Valérie Dréville qui campe une Arkadina très névrosée et délicieusement insupportable et pour Matthieu Sampeur qui interprète un Konstantin viril et révolté, tandis que Mélodie Richard est une Nina maniérée mais touchante de charme brisé et de douleur.

Une Mouette à la fois classique et contemporaine donc, intelligente et sans faute de goût, servie par une distribution d’une qualité exceptionnelle.

Frédéric Manzini

 

La Mouette

d’Anton Tchekhov
Traduction Oliver Cadiot
Mise en scène et adaptation : Thomas Ostermeier
Musique : Nils Ostendorf
Scénographie : Jan Pappelbaum
Dramaturgie : Peter Kleinert
Lumière : Marie-Christine Soma
Costumes : Nina Wetzel
Création peinture : Katharina Ziemke
Peintre : Marine Dillard

Avec : Bénédicte Cerutti (Macha), Valérie Dréville (Arkadina), Cédric Eeckhout (Medvedenko), Jean-Pierre Gos (Sorine), François Loriquet (Trigorine), Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française (Dorn), Mélodie Richard (Nina) et Matthieu Sampeur (Treplev)


Mis en ligne le 26 mai 2016