LA MÉCANIQUE DE L'ORNITHORYNQUE

La Manufacture des Abbesses
7 Rue Véron
75018 Paris

Jusqu'au 23 juillet, du dimanche au mercredi à 21h00

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Mis en ligne le 26 juin 2014

La mécanique de l’ornithorynque

(Vu le 5 avril 2014 au Théâtre du Petit Hébertot)

De cette relation subtile et profonde d'une fille avec son père, Delphine Gusteau a tissé un texte digne de la tapisserie de Pénélope : toujours à faire, toujours reprisée, jamais finie. Tissée, détissée au fil des jours, répétée sans être jamais la même, au point que la trame s'oublie.

Un spectacle qui est comme une joute avec une ombre, une ombre qui vit profondément cachée au plus profond de nous, une ombre qui stagne dans les plus lointains souvenirs, comme une omniprésence, une référence qu'on ne peut ignorer puisqu'elle existe jusque dans ses veines, son sang, ses traits. C'est l'instant d'une jeune femme en proie à ce dialogue avec cette part d'elle-même qui est ce père, cet inconnu si intime.

Le déclencheur ? Une boîte empaquetée de noir qui surgit un soir où la jeune femme attend un amoureux, un possible amoureux, un homme quoi. Dans cette boîte, une collection de montres, celle du père. Une collection. Une sorte d'héritage. L'amoureux tarde à venir, l'impatience laisse place aux souvenirs, aux manques viscéraux et à l'imaginaire capable de réinventer l'histoire.

Plus que l'analyse des rapports père/fille, ce spectacle nous place en observateur d'un point d'interrogation (ou d'un trait d'union, comme on voudra), de ce qui ne peut être dit, de cet espace infini qui à la fois éloigne et relie l'homme et la femme, le père, la fille.

La force de ce spectacle est qu'à aucun moment il ne sombre dans le psychanalytique ou le piètre déballage. Tout est action, rebondissement, on se sent happé comme si l'on se transformait en une bouche qui s'approche d'une blessure pour lui donner un baiser.

Le décor fait de géométrie presque surréaliste nous plonge chez cette jeune femme, un univers aux angles fuyants, son intime perception. Et dans ce décor presque irréel, David Negroni a ciselé des images puissantes, avec presque rien, un geste, une attitude, une main qui s'agrippe à une table, visions qui frappent l'imaginaire.

Et comme par une volonté de contradiction, Coralie Emilion incarne ce personnage avec une appétence de vie magnifique : elle est là, dans une réalité actuelle, inébranlable. Forte, vivante, charnelle, elle est  le ring où se joue le combat. Et cette envie d'étreindre l'autre. Elle est sans cesse sur ce fil tendu entre cette entité masculine du père face à son identité féminine en construction. Sur un abîme. Comme une équilibriste.

Tout le spectacle se joue sur ce vide. Ce fil tendu entre deux êtres que tout devrait rapprocher et…

C'est un fort poème, pas un poème d'amour, un poème de chair, de rires, de cris, de dérision, sans nostalgie ni adoration convenue. D'une simple beauté pure, insolente, cruelle et drôle.

Bruno Fougniès

 

La mécanique de l'ornithorynque

Une pièce de Delphine Gustau

Mise en scène David Negroni, assistante à la mise en scène Lise Schreiber,
Chorégraphe Bouziane Bouteldja
Univers sonore Matthieu Michard

avec Coralie Émilion