LA DAME AUX CAMÉLIAS

Théâtre de l’Odéon
Odéon-Théâtre de l'Europe
Place de l'Odéon Paris 6
01 44 85 40 40
Jusqu'au 4 février 2012. Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h

Cette Dame aux Camélias de Frank Castorf ne laisse pas indifférent.

Ne surtout pas y chercher une quelconque histoire narrative, une cohérence des scènes, du romantisme.

Le metteur en scène, fidèle comme jamais à sa réputation de provocateur, ne fait pas dans la dentelle.

Il projette le spectateur dans un maelström incroyable de séquences violentes et brutales, de mots criés, arrachés, de sons omniprésents, dans un décor double, bidonville d’un côté, espace froid et lumineux de l’autre, dominé par une sorte de mirador où défilent des panneaux publicitaires notamment une représentant une accolade enthousiaste entre Kadhafi et Berlusconi avec ce slogan : « Niagra forza forever » .

Difficile d’y trouver un sens logique, il ne reste qu’à lâcher prise, se laisser happer, emporter par ce chaos organisé de main de maître, impressionner par le talent des interprètes. Ou partir.

Autre temps autres mœurs. Ici point de bataille d’Hernani. Mais tout au long du spectacle, un ballet furtif et silencieux de spectateurs déroutés quittant la salle, répondant ainsi tranquillement au bruit et à la fureur qui agitent la scène.

Tout ce patchwork invraisemblable mais extrêmement travaillé souligne l’opposition entre révolution et ordre établi : le choix des textes où se mêlent extraits du roman et de la pièce de théâtre d’Alexandre Dumas fils, de la Traviata de Verdi, de l’Histoire de l’œil de George Bataille et de la Mission d’Heiner Muller ; l’utilisation d’une « tournette » pour présenter d’un côté une favela sordide, de l’autre un univers totalement aseptisé ; les scènes de théâtre et celles filmées en direct d’un côté et projetées dans l’autre.

Prévoyant les réactions scandalisées, Frank Castorf fait dire avec ironie à sa comédienne : « Putain, j’en ai marre de cette mise en scène de merde ! »

L’histoire si on peut dire de Marguerite Gautier s’achève pratiquement sur ces mots. Suit alors un long passage de La mission, avec des extraits de films - Viva Mexico d’Einsenstein - et d’images d’archives - chute de Ceausescu-.

On en sort secoué, fatigué, interloqué, gardant imprimées dans la mémoire quelques scènes magnifiques : un génial clin d’œil à Psychose, une interprétation lyrique bouleversante de Roxane de Police, une bande son remarquable.

Une version déroutante, donnant à réfléchir, qui ancre  on ne peut mieux une œuvre vieille de cent cinnquante ans dans notre époque, illustrant parfaitement ce que jette face caméra une Jeanne Balibar étonnante :

«Ce que nous avons pris pour l’aurore de la liberté n’était peut-être qu’un nouvel esclavage plus effroyable.»

 

Nicole Bourbon

La dame aux camélias

À partir de l'œuvre d'Alexandre Dumas fils

et des fragments de L'Histoire de l'œil de Georges Bataille et de La Mission d'Heiner Müller

mise en scène Frank Castorf

dramaturgie : Maurici Farré

décor : Aleksandar Denic

costumes : Adriana Braga

musique : Sir Henry

 

avec Jeanne Balibar, Jean-Damien Barbin, Vladislav Galard, Sir Henry, Anabel Lopez, Ruth Rosenfeld, Claire Sermonne.