L’ÉCOLE DES FEMMES

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre
75012 Paris
Tél: 01 43 28 36 36

Jusqu’au 2 octobre 2016
Du mardi au samedi 20h00
Dimanche 16h00

 

L’École des femmes loupeCrédi photo © Chantal Depagne

Dans la pénombre du plateau, deux ombres s’agitent et gesticulent avec force mouvements. On distingue, dans ce qui semble être un potager, un homme et une femme, l’un brandissant un râteau, l’autre tenant entre deux doigts ce qui ressemble à un petit animal. Une taupe ? Un rat ?

Bon sang mais c’est bien sûr… un chat.

Le petit chat dont Agnès apprend la mort à Arnolphe, son tuteur, lorsque ce dernier, après dix jours d’absence, lui demande : « Quelle nouvelle ? »

A-t-on jamais vu une représentation de L’École des femmes démarrer de manière aussi loufoque ?

Le ton est donné et l’on n’a aucune peine à deviner que la mise en scène de Philippe Adrien nous réserve bien des surprises.

Tandis que les deux paysans, Alain et Georgette, les domestiques d’Arnolphe, entreprennent d’enterrer le chaton au milieu des choux, l’arrière plan s’éclaire brièvement, juste le temps pour le spectateur d’entrevoir une silhouette immobile, vêtue de blanc de la tête aux pieds, telle une apparition de la Vierge Marie.

C’est la jeune Agnès, retirée par son tuteur du couvent où il l’avait confiée enfant afin que les bonnes sœurs s’emploient à la « rendre idiote autant qu’il se pourrait ».

Beau programme d’un barbon obsédé par le cocuage et persuadé qu’épouser une innocente sans instruction est la garantie d’échapper à la disgrâce que subissent tant de ses contemporains.

Arnolphe a, en effet, planifié de prendre pour femme celle qu’il a vue grandir et, en attendant que le notaire officialise le mariage, il a installé sous bonne garde (croit-il) la jeune fille dans une petite maison retirée, à l’abri des regards et des rencontres.

Fort heureusement le destin et un heureux coup de théâtre en décideront autrement, et la belle pourra envisager un avenir, qu’on espère radieux, avec le jeune Horace qui, en dépit de la vigilance d’Arnolphe, a réussi à l’approcher.

Dans son interprétation de cette pièce de Molière tant de fois jouée depuis sa création en 1662, Philippe Adrien a pris le parti de nous faire rire, exploitant les éléments burlesques qu’elle contient – le thème de l’infidélité féminine et du cocuage, les sous-entendus grivois – en la tirant vers la farce. Forçant le trait – un peu trop parfois peut-être ? – jusqu’à la caricature, avec les deux domestiques qui gesticulent comme des pantins et grimacent comme des clowns, le notaire bourré de tics (la prestation de Raphaël Almosni est un morceau d’anthologie !), l’arrivée inopinée des deux pères, celui d’Agnès et celui d’Horace, qui débarquent des Amériques en tenue d’Amish.

Pas possible, ils ont fait l’école du cirque, songé-je.

Bingo ! Un petit coup d’œil sur leur parcours m’apprend que Raphaël Almosni a travaillé le clown et le masque avec Mario Gonzales, tandis que Gilles Comode et Joanna Jianoux ont été formés à l’École Jacques-Lecoq.

Chez Arnolphe en revanche, admirablement interprété par Patrick Paroux, c’est le comportement pathétique d’un barbon éconduit qui fait naître le comique.

Sa souffrance, réelle, a des accents tragiques qui frisent le ridicule.

« Quoi ? l’astre qui s’obstine à me désespérer

Ne me donnera pas le temps de respirer ? »

On croirait entendre Don Diègue dans Le Cid, « N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?», à la différence que ce dernier est un vieillard vénérable et respectable alors qu’Arnolphe n’est que pitoyable.

Et grotesque. « Je te bouchonnerai », dit-il à Agnès, comme s’il s’adressait à un cheval, sa langue ayant peut-être fourché sous le coup de l’émotion.

Philippe Adrien a accentué son côté grotesque dans le but, vraisemblablement, d’éviter de susciter chez le spectateur la moindre sympathie pour un odieux personnage dont il a accentué, par sa mise en scène, la noirceur.

Les chaînes en effet qui, vers la fin de la pièce, emprisonnent Agnès, ainsi que le drap maculé de sang (et ce qu’il laisse supposer) étendu dans la chambre, sont des signes évidents de la volonté du metteur en scène de souligner le comportement monstrueux d’Arnolphe.

En cultivant la veine comique, la mise en scène de Philippe Adrien est finalement dans le droit fil de la mise en scène initiale et de toutes celles qui ont suivi jusqu’au milieu du XIXème siècle, où elles prirent une tournure plus tragique.

Philippe Adrien a pris le parti de nous faire rire, disais-je, et il a atteint son but.

La salle croule sous les rires.

Mais le rire ne saurait atténuer le propos de Molière, toujours d’actualité hélas dans notre monde où domination masculine et mariages forcés sont encore une réalité.

Propos auquel les comédiens, tous sans exception, donnent vie avec une maestria et une justesse exceptionnelles.

En dehors de ceux précédemment cités, il y a Valentine Galey qui joue, sans mièvrerie aucune, une Agnès spontanée, naïve et innocente, dont l’ingénuité se transforme en ingéniosité lorsque l’amour lui donne les ressources nécessaires pour déjouer les plans de son geôlier. On sait, n’est-ce pas, depuis La Fontaine, comment l’esprit vient aux femmes…

Elle illumine la scène de sa blondeur et de sa candeur et a, pour ce rôle, été nominée au Molière 2015 de la révélation féminine.

Face à elle, il y a Pierre Lefèvre qui, avec sa jeunesse, sa gaîté, son charme, incarne à merveille Horace, l’amoureux d’Agnès.

Et puis Pierre Diot, parfait dans le rôle de Chrysalde, l’ami pragmatique et débonnaire d’Arnolphe qui réfute ses théories et tente, mais en vain, de lui faire entendre raison.

Tous dégagent une énergie et un enthousiasme qui se communiquent sans peine aux spectateurs.

Grâce à une telle distribution, les alexandrins coulent comme de la prose, la langue de Molière, qu’on découvre ou qu’on redécouvre avec délectation, prend une saveur particulière.

L’École des femmes, dans la mise en scène de Philippe Adrien, est un spectacle jubilatoire.

Une réussite.

Elishéva Zonabend

 

L’École des femmes

De Molière

Mise en scène : Philippe Adrien

Avec : Patrick Paroux, Valentine Galey, Pierre Lefebvre, Joanna Jianoux, Gilles Comode, Pierre Diot, Raphaël Almosni, Vladimir Ant

Décor : Jean Haas.
Costumes : Cidalia Da Costa.
Musique et son : Stéphanie Gibert
Lumières : Pascal Sautelet assisté de Maëlle Payonne
Maquillages : Sophie Niesseron et Pauline Bry.
Collaboration artistique : Clément Poirée
Direction technique : Martine Belloc

Nominations au Molière 2014 de la mise en scène du théâtre public et au Molière 2015 de la révélation féminine (pour le rôle d’Agnès).

 

Mis en ligne le 25 septembre 2016