IVRESSE(S)

Théâtre de la Tempête / Cartoucherie
Rte du Champ-de-Manœuvre
75012 – PARIS
Tél. 01 43 28 36 36

Jusqu’au 17 décembre
du mardi au samedi 20 h 30
dimanche 16 h 30

Ivresse(s) loupe 

 « Sincèrement j’attends avec impatience le jour où tout ça va s’effondrer, et où quelque chose de nouveau apparaîtra et on regardera le passé sans comprendre comment on pouvait vivre ainsi, ça, cette vie-là, d’aujourd’hui… »

Sincèrement… c’est ainsi que les uns et les autres de la troupe franchissent le pas du plateau et ouvrent la parole au public. Sincèrement et avec une extrêmement incroyable politesse, gentillesse, bienveillance… et simplicité.

De la même manière, le plateau vide qui les accueille va tout au long du spectacle se remplir, s’organiser, devenir un autre lieu grâce à de simples matières : feuille blanches, fils, bâches plastiques de travaux, fils… c’est quelque chose qui se construit peu à peu sous nos yeux pendant que les scènes qui se jouent, elles, racontent plutôt le sentiment d’égarement, de vide, de néant et l’attente de… « Sincèrement j’attends avec impatience le jour où tout ça va s’effondrer… » qui revient comme une prière dite, redite, espérée.

Le texte de Falk Richter, aux allures biographiques mâtinées de journal intime, raconte et fait apparaître une jeunesse actuelle, défiée par une mondialisation. Un monde qu’ils voient filer à toute allure vers le précipice et à bord duquel ils n’ont pas envie de prendre place. Alors ils cherchent à recréer tout : idéaux, avenir, présent, relations sociales, relations amoureuses, besoins, échanges, sentiment d’appartenir, sentiment d’être comblé, demande, réponse, don, curiosité, amours, couples… tout ce qui relie les humains entre eux hors du profit. Ils cherchent dans les recettes que la société leur propose les clefs pour réaliser leurs vies, leurs bonheurs et aucune ne convient. Ils tendent les mains vers les autres, tous et ne trouvent que le vide ou des corps qui ne répondent pas à leurs attentes.

Il s’agit ici, d’intelligence, de conscience et de perdition. Mais aussi de foi en une certaine vitalité, une résistance à l’ordre établi et la volonté d’inventer autre-chose avec en sous-texte le désir de retrouver justice et de sauver cette fichu planète que deux mille ans de civilisation est en train de jeter dans les flammes du soleil !

L’art de Jean-Claude Fall et de ses comédiens est de faire de cet état des lieux non pas une revendication, même pas vraiment le procès d’un héritage pourri, mais l’appel de la bonne volonté et de la résistance. Et cette douceur même, cette non-violence qui réclame la révolte, la révolution est elle-même une forme d’arme nouvelle. Face à un monde sans âme, sans scrupule, où seule la finance aveugle dirige, une finance aux mains de 1% de la population, violence froide, inhumaine, c’est l’humain qui se dresse dans toute sa fragilité pour dire  non !

Une autre forme de révolution quand les précédentes tentaient de renverser un ordre figé pour un mouvement, celle-ci prend le chemin de renverser un ordre en mouvement, l’expansionnisme économique, en refusant de bouger, de façon statique, figée, en attente.

La mise en scène utilise de manière sensée la vidéo, pour la plupart des selfies créés en direct via des portables. Il est beaucoup question de ce virtuel, ces avatars, ces personnalités numériques qui sont une représentation de soi trompeuse, trompée. Justifiées également et lumineuses ces projections sur les pans de feuilles blanches tendues sur des fils. D’une fragilité telle qu’un coup de vent peut les faire disparaître comme réalité fantoche.

Et l’aventure finit, là où la chose commence, sur un plateau transformé en camp de fortune, tout aussi fragile, éphémère, où une sorte de « fraternité » humaine se tisse face à la violence policière, et qui rappelle de près ce qu’ont pu être les « Nuits Debout » et de loin ce qu’étaient les aspirations soixante-huitardes où les règles sociales, l’entre-humain, et la société de consommation étaient remises en causes. Trouver d’autres respects, d’autres règles de vie pour qu’à l’avenir… « … on regardera le passé en pensant : comment on pouvait vivre comme ça, ça n’a pas de sens, pourquoi on agissait ainsi, aucun homme normal n’agirait ainsi, et on dira tout simplement : ben oui, c’était comme ça à l’époque. Ils faisaient tous ça et… c’était comme ça à l’époque, c’est tout. » Ivresse

Bruno Fougniès

 

Ivresse(s)

De Falk Richter
Texte français Anne Monfort (L’Arche éditeur)
(Montage de la pièce Ivresse et d’extraits de Play loud et Protect me)
Mise en scène Jean-Claude Fall
Création Vidéo Laurent Rojol
Directeur technique Jean-Marie Deboffe

Avec Roxane Borgna, Jean-Marie Deboffe, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Paul-Frédéric Manolis, Nolwenn Peterschmitt, Laurent Rojol, Alex Selmane

 

Mis en ligne le 19 novembre 2017