DIALOGUES D’EXILÉS

Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs 
75006 Paris
01 42 22 26 50

Jusqu’au 26 mars
du mardi au samedi à 21h00

 

Dialogues d’exilés loupe Photo © Ludo Leleu

« Si tu me payes un verre, je n'te demand'rai pas 
Où tu vas, d'où tu viens, si tu sors de cabane
Si ta femme est jolie ou si tu n'en as pas 
Si tu traînes tout seul avec un coeur en panne
Je ne te dirai rien, je te contemplerai
Nous dirons quelques mots en prenant nos distances
Nous viderons nos verres et je repartirai
Avec un peu de toi pour meubler mon silence… »

Voici la première chanson de « Dialogues d’exilés », paroles de Bernard Dimey, chanté entre autres par Serge Reggiani en son temps. Un spectacle comme un instant suspendu quelque part au-dessus de la cohue du monde, un éphémère transit aussi bref et évocateur qu’une chanson. Ils sont six sur un plateau bondé d’instruments de musique, de palettes de bois, de fûts de bière… moitié bistro, moitié clandé, sans époque.

Les six interprètes sont eux-mêmes hors-temps : des nippes taillées dans des tissus multicolores, l’allure presque débraillée. Ils vont et viennent de leurs instruments à la pompe à bière, engloutissant pintes et demis. À la mise en scène : Olivier Mellor, qui interprète aussi Ziffel, physicien allemand exilé. Au texte : Bertolt Brecht, exilé loin de l’Allemagne nazi dès 1933. Un texte qu’il écrit et remanie pendant quinze ans sans qu’i l lui fasse voir le jour de son vivant.

La trame principale est un dialogue entre Ziffel et Kalle (Stephen Szekely), un ouvrier allemand, en exil lui aussi, après avoir connu les camps du troisième Reich.

Protégés derrière un lourd rideau de velours rouge pailleté comme un travelo, isolés ainsi de la réalité brutale, ils sont libres de parler de cette réalité qui les menace avec la distance nécessaire, l’ironie nécessaire et la lucidité nécessaire. Tout l’humour de Brecht fait ici des flammes. Toute son analyse aussi, car loin de considérer les atrocités du nazisme comme un événement passé, presque accidentel dans son excès, son inhumanité, il se sert du dialogue de ces deux personnages pour tenter de comprendre ce que cette violence change à nos conceptions des choses et du monde.

C’est cette volonté de clairvoyance humoristique qui est mis en avant grâce à la mise en scène et aux jeux des interprètes, aussi bien les musiciens qui font corps avec les deux acteurs / chanteurs.

Sous un vernis volontairement populaire et bravache pointe aussi une très sensible et vibrante nostalgie. Nostalgie dans un monde bouleversé qui n’est que la source de notre monde actuel. Un monde dont les repères ont changé au point qu’ils apparaissent tous étranges, bizarres, inversés, absurdes et déshumanisés.

Rien de plus juste alors que nos six personnages boivent des bières comme les russes instillent avec un grand sérieux les petits verres de vodka de manière à faire surgir le sensible fond éclairé de l’âme.

Une belle démonstration où l’on ne demande pas seulement à l’ivresse d’être saoul mais d’être vrais.

« Si tu me payes un verre, je ne t'en voudrai pas
De n'être rien du tout... Je ne suis rien qui vaille »

Bruno Fougniès

 

Dialogues d’exilés

De Bertolt Brecht
Traduction Gilbert Badia et Jean Baudrillard

Chansons : Bertolt Brecht / Kurt Weill, Jean Yanne, Léo Ferré, Bernard Dimey, Raoul De Godewarsvelde, Jesse Garon...

Mise en Scène Olivier Mellor
Arrangements : Séverin Jeanniard, Romain Dubuis
Scénographie : Noémie Boggio, Alexandrine Rollin
Costumes : Hélène Falé
Lumière : Benoît André

Avec

Olivier Mellor (Ziffel), Stephen Szekely (Kalle), Séverin «Toskano» Jeanniard (Direction Musicale, Contrebasse, Shaker, Tambourin), Romain Dubuis (Piano, Orgue, Harmonica), Cyril «Diaz» Schmidt (Percussions, Guitares, Grosse Caisse), Feat. Stephen Szekely (Piano), Olivier Mellor (Sax Alto, Contrebasse, Shaker, Percussions)

 

 

Mis en ligne le 10 février 2016