CYRANO DE BERGERAC

Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
01 45 45 49 77

Jusqu’au 4 juillet
les mardis, vendredis et samedis à 20 h 30,
les mercredis et jeudis à 19h00 et matinée samedi à 16 h00

 

Cyrano de Bergerac loupePhoto Lot

Chronique de Bruno Fougniès       (Voir la chronique de Gérard Noël)

 

Inutile de raconter l’histoire de Cyrano, esprit libre, escrimeur et poète mais laid, amoureux en secret de Roxane, une coquette précieuse du XVIIème siècle, qui elle-même est amoureuse de Christian, jeune, beau mais de peu d’esprit. Par un concours de circonstance, Cyrano va prêter son art du langage et son imagination à Christian pour ne pas décevoir l’attirance de Roxane. Un jeu de rôle tragique, pathétique, merveilleux.

Edmond Rostand écrit cette pièce à la fin du XIXème siècle. C’est à cette époque qu’Henri Lazarini situe le début de sa mise en scène : le décor de Pierre Gilles représente le bureau d’Edmond Rostand. Tandis que celui-ci écrit son Cyrano, les personnages qu’il imagine se mettent soudain à vivre devant nous, et, saisissant soudain un masque en faux-nez qu’il affuble, Rostand bondit à son tour parmi ses inventions et devient son héros.

Le dispositif scénique crée également un deuxième espace en fond, une autre scène derrière un tulle, qui permet de créer des tableaux et des apparitions qui dynamisent les changements de lieux.

On est en quelque sorte un pied dans l’imaginaire d’Edmond Rostand, un pied dans l’histoire de Cyrano : cela permet aux artifices de théâtre de fonctionner à plein comme lors du fameux duel de la ballade où un véritable fleuret joute vainement contre l’épée virtuelle de Cyrano/Rostand, une épée dont la pointe et le fil sont les mots du poète.

Les treize comédiens ont pour la plupart d’entre eux, des kilomètres de planches derrières leurs talons : Emmanuel Dechartre en de Guiche est roué comme un serpent venimeux, Michel Melki en Ragueneau semble avoir été créé pour jouer ce personnage, Roxane, interprétée avec beaucoup de sens et de rythme par Clara Huet, est lumineuse et l’on comprend l’affolement des cœurs qu’elle provoque quand à Benoit Solès, il plonge avec un bonheur communicatif dans ce rôle démesuré : une diction claire, une aisance scénique indéniable, et surtout une fraîcheur, presque une innocence qui fait tendre toute sa partition vers le romantique et la poésie.

D’ailleurs, tout le spectacle possède cette fraîcheur presque naïve, comme si le but de Henri Lazarini avait été d’expurger au maximum le drame pour tirer l’histoire vers le conte. Une lecture finalement très classique de la pièce où les scènes de groupes ont du mal à exister parfois.

Un dernier choix surprend et fait perdre un instant le fil de l’histoire à certains jeunes spectateurs. Lors du 5ième acte, quatorze ans après l’acte précédent, Roxane demeure dans un couvent. Et voilà qu’elle apparaît sur scène, âgée d’une quarantaine d’années supplémentaires. Un choix étrange lorsque l’on sait que toute la pièce est construite au travers du regard de Cyrano. Comment celui-ci pourrait imaginer sa belle sous cette apparence ?

Mais ces détails n’enlèvent pas les beaux messages de cette pièce de passer dans la salle, en particulier l’esprit frondeur, libre-penseur, provocateur du personnage et ces phrases qui semblent toutes sorties de nos souvenirs… ces répliques célèbres qui font mouche et font monter le sourire aux lèvres.

« Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances. »…
« Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès !
Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »…

Etc. Etc.

 

Cyrano de Bergerac loupePhoto Lot

Chronique de Gérard Noël

 

Quoi de neuf ? Cyrano. Cyrano repris sur la petite scène (enfin pas immense !) du Théâtre 14. Repris avec un nombre de comédiens limité, ce qui implique quelques suppressions (celle de Carbon de Castel-Jaloux, par exemple) et coupes dans le texte. Mais l’essentiel y est.

Sous peine de présenter une n ième version d’un classique, mieux vaut avoir une bonne idée de départ : ici, on commence tranquillement avec l’auteur à sa table de travail. Il réfléchit, amorce quelques didascalies, puis les premières répliques et, peu à peu, la pièce prend vie. Dans cette optique, c’est bien évidemment Rostand qui, au moyen d’un demi-masque prestement rabattu sur le visage, devient Cyrano. Pourquoi pas ? Rostand le Marseillais tend la main au plus célèbre des Gascons  et le comédien se dédouble habilement.

Si les décors sont succincts, cela ne pose aucun problème : magie éternelle du théâtre, nous sommes dans la suggestion, et le spectateur lambda accepte sans broncher, par exemple, qu’il n’y ait pas de balcon. Un simple regard vers le haut suffit, d’autant que les éclairages, soignés, contribuent à créer des illusions réussies.

Malgré les coupes, on est emporté par les vers de Rostand, par l’histoire, un peu kitsch parfois mais tellement efficace. Cyrano se bat, il se bat contre tous, même si, au début, il mime un duel et se contente d’assener un coup de pied au cul à Valvert. Il se bat contre sa laideur, il se bat contre lui-même : belle prestation de Benoit Solès dans le rôle-titre. Il égale sans peine ses nombreux prédécesseurs. Même remarque pour la diaphane Roxane, précieuse et évaporée mais qui révèle, à l’occasion du siège d’Arras, une tout autre figure. Clara Huet, comédienne prometteuse porte le personnage dans ses ambiguïtés et ses envols romantiques. Détail touchant, la Roxane de la fin est jouée par cette grande dame qu’est Geneviève Casile. Rien à redire non plus pour le reste de la troupe : Emmanuel Dechartre campe un de Guiche tout à fait convaincant et Vladimir Perrin rajoute un peu d’énergie à ce que le rôle de Christian de Neuvillette a, d’habitude, d’évaporé.

Se rappelant que Rostand est l’exact contemporain de Méliès, le metteur en scène Henri Lazarini fait un clin d’œil, bien venu lui aussi, au « Voyage dans la lune ».

Donc, ça cavalcade, ça se bat, ça rit, ça frémit au Théâtre 14. Qu’on se le dise ! Et tout ceci grâce à l’inusable œuvre de Rostand. Courez-y !

 

Cyrano de Bergerac

Texte d’Edmond Rostand
Adaptation, mise en scène et costumes Henri Lazarini
Scénographie Pierre Gilles assisté de Juliette Autin
Lumière Xavier Lazarini
Masque Sébastien Bickert

Avec : Benoit Solès, Emmanuel Dechartre, Clara Huet, Vladimir Perrin, Michel Melki, Émeric Marchand, Lydia Nicaud ou Christine Corteggiano, Anne-Sophie Liban, Michel Baladi, Pierre-Thomas Jourdan, Julien Noïn, Jean-Jacques Cordival

Et avec la participation de Geneviève Casile, Sociétaire honoraire de la Comédie-Française

 

Mis en ligne le 25 mai 2015

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