BIENVENUE EN CORÉE DU NORD

Théâtre de Belleville
94 rue du Fg du temple
75011 Paris            
01 48 06 72 34

Du 6 au 29 janvier 2019
Du lundi au mardi à 19h15 et les dimanches à 17h

 

Bienvenue en Corée du Nord loupe Crédit photo ©Alban Van Wassenhove

Les Clownesses ! Voici le nom de ce collectif, même si derrière l’un de ces nez vit un garçon. Pour une fois le féminin l’a emporté !

Mais il ne s’agit pas de cela, ici. Il s’agit d’un récit sur un pays. La Corée. Du nord. Eh oui.

L’idée peut paraître étrange que des clowns s’emparent de ce sujet. Une idée décalée et indéfendable voire purement intellectuelle (même si la pensée des bouffons shakespeariens et leur insolence vis-à-vis du pouvoir absolu vient à l’esprit). Ce régime militaire qui fait parler de lui presque quotidiennement et s’agite comme une perpétuelle menace guerrière sur le monde (que l’on surnommait le monde libre il y a peu) est une chose qui paraît trop sérieuse pour en faire un sujet de clownerie. Et c’est pourtant le contraire qui se produit.

Car Olivier Lopez, metteur en scène, et ses interprètes ne se sont pas contentés de puiser dans l’actualité la matière de leur spectacle, ils ont été voir sur place. C’est ce voyage et ce qu’ils rapportent de là-bas qu’ils vont vous raconter. Essayer de vous raconter. Du moins, tenter de vous faire saisir les impressions fortes, les rencontres qu’ils ont faites, tolérées ou l’absence de rencontre dans ce pays cadenassé, surveillé, policier. Un autre monde. Isolé, fermé sur lui-même, ennemi de tout, élevant son peuple au-dessus des autres et le soumettant au culte de la dynastie des Kim. Qui mieux que des personnages aussi « sans mesure » que ces clowns peuvent nous donner à imaginer de telles bizarreries humaines ?

S’ils sont clowns, ces quatre-là sont aussi comédiens. Et même s’ils lancent des clins d’œil aux stéréotypes de cet art (les nez rouges – mais pas tous identiques – la fleur à la boutonnière qui jette de l’eau grâce à une poire – mais de manière totalement gratuite, hors propos…) ils s’éloignent de ces clichés grâce à une modernisation du genre avec une panoplie de costumes déjantés qui les transforment en kaléidoscopes vivants : collages d’objets hétéroclites, matières plastiques, empilements, perruques flashy et couvre-chef absurdes… 

Ils sont dans une certaine mesure et par courts instants, des clowns jouant les rôles de clowns, dans une sorte de mise en abîme ponctuelle. Ce qui crée une distance avec leurs personnages provoquant rires et sourires de connivence et respirations.

C’est un drôle de voyage qu’ils ont fait, sous surveillance, où rien de ce qui est montré à ces curieux étrangers n’est laissé au hasard.

On y apprend des petites choses, comme ce culte de la personnalité de toute la dynastie Kim institué comme une religion, ce calendrier débutant en 1912, année de naissance du fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-sung, et un fuseau horaire volontairement décalé d’une demi-heure par rapport au reste du monde… On se cogne également à des pans entiers d’obscurité, d’inconnu, de tu et d’invisible.

La mise en scène d’Olivier Lopez met totalement en avant cette opacité. La scène est fermée par un rideau rouge avec sur un côté le portrait de Kim Il-sung. Tout le spectacle va se dérouler sur cette avant-scène comme s’il était impossible de dévoiler totalement cette Corée. Le vaste espace du plateau ne nous dévoilera qu’à la fin une série de cartes postales vivantes illustrant parodiquement le régime victorieux, tout puissant et militaire. Des allégories emphatiques, au ridicule magnifiquement rendu par nos clowns, sous l’œil bienveillant d’une présentatrice dézinguée.

L’interdit restera caché.

La façade, infranchissable.

C’est un mur, un mur terrifiant qui n’est pas fait de briques et de ciment mais de manipulation de masse.

Opaque.

Il faut saluer le travail de ces quatre artistes en scène : Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adélaïde Langlois qui, de l’esprit farce de l’enfance, ont su garder la force de rire des frayeurs et des aberrations du monde et de garder en eux le feu de l’imaginaire pour  trembler, moitié pour de faux, moitié pour de vrai et expulser la noirceur à coup d’innocence et de belle folie. Tous quatre sont différents, particuliers, de personnalités très précises. Voix, gestes, caractères, costumes, maquillages…

On se rend compte grâce au travail qu’ils présentent que le clown en tant que personnage est attaché intimement à celui qui le crée. Il n’est pas question de passer son clown à quelqu’un d’autre. Il est une sorte de masque qui agit comme réflecteur de la personnalité du comédien. Et derrière ce masque, celui-ci possède peut-être plus de liberté d’expression, de provocation, que l’acteur à visage découvert.

Ils nous régalent de la liberté de défier d’autres personnages, plus bouffons qu’eux dans leurs enflures, leurs pouvoirs, qui se prennent pour des dieux, tels Kim Jong-un, et d’un faux tremblement, et d’une vertueuse et bénéfique insolence, ils nous emportent.

Bruno Fougniès

 

Bienvenue en Corée du Nord

Mise en scène d’Olivier Lopez
Création lumières / régies Éric Fourez
Assistant régie Simon Ottavi
Scénographie Luis Enrique Gomez
Costumes Ateliers Seraline

Avec Marie-Laure Baudain, Alexandre Chatelin, Laura Deforge et Adélaïde Langlois

 

Mis en ligne le 21 décembre 2018