AGNÈS

Théâtre d'Ivry Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure
94200 Ivry
01 43 90 11 11

Les 6, 9, 11, 15, 17, 21, 23, 25, 29, 31 janvier à 20h (sauf les jeudis à 19h)
Les dimanches 19 et 26 janvier et 2 février à 15h

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Mis en ligne le 14 janvier 2014

Agnès

Quand le théâtre s'empare du vif.

La pièce traite d'un sujet jamais nommé sinon par « ça ».

« Ça » c'est l'innommable, aussi bien pour les victimes que pour les témoins qui ne veulent pas voir ça, et aussi pour le coupable qui refusera toujours d'admettre qu'il l'a commis.

C'est un viol qui incendie cette histoire et tous ses personnages comme un brasier dévorant, c'est l'inceste d'un père contre sa fille, ça.

La trame est tirée d'un fait divers qui eu lieu dans les années 90. Catherine Anne s'en est inspirée. Sujet brûlant qu'elle raconte du point de vue de la victime prise à trois âges différents, 12, 16 et 30 ans, comme pour multiplier les bouches qui ne peuvent parler.

Une distribution féminine

Tous les rôles sont joués par des comédiennes. Un choix qui n'est pas innocent et qui prend toute sa valeur quand il crée une distance nécessaire avec le réalisme. Un choix qui apporte également du sens, principalement pour le rôle du père incestueux magnifiquement donné par Marie-Armelle Deguy d'une force incroyable. Voici donc le père, d'une corpulence fluette, la voix à peine virile, qui ne ferait pas peur à une mouche : mais son pouvoir est ailleurs.

C'est la mécanique de domination de cet homme chétif qui éclate ainsi. Le pouvoir et la loi du silence qu'il impose chez lui ne se fait pas par la force mais par la violence mentale : la menace, le chantage, l'apitoiement, la peur, tout est bon pour obtenir ce qu'il veut.

Grâce à ce subterfuge, le rôle joué par une actrice devient encore plus violent et cru sans jamais tomber dans le vulgaire, le glauque, le nauséeux.

Trois générations de femmes sous domination

Au centre du plateau, une sorte de monolithe à deux étages représente l'habitation. Un cube biseauté vaguement phallique. Lieu d'enfermement, domaine privé où s'exerce toute l'autorité du père.

Dans cet appartement  vivent la mère du despote, sa femme et ses filles : trois générations sous l'emprise du père, l'emprise de cette haine qu'il semble porter en permanence. Trois générations de femmes terrorisées, mais surtout aliénées, rendues aveugles par les mensonges et les menaces de cet homme.

Car le drame de « ça » est rendu possible par cet aveuglement : le monde entier qui se voile la face pour ne pas voir, pour ne pas soupçonner l'immonde, ne pas assister à la destruction de l'enfance. Comment alors l'enfant peut-il clamer la vérité quand le monde entier décide d'être sourd ?

Une mise en scène et une construction inspirée

Presque aucun préambule au drame, pas une construction chronologique car comment mettre en ordre un chaos ? Les scènes surgissent aussi bien du passé, que du présent, du futur, trois temps qui se répondent qui se cherchent qui se fuient de toutes parts comme un esprit hanté qui cherche une réponse qui n'existe pas. Pourtant l'espoir est toujours là, palpable, la vie, l'avenir possible. Nul apitoiement, nul sanglot, la mise en scène de Catherine Anne, âpre et violente, évite les écueils du pathétique. C'est à une lutte qu'elle appelle, une révolte. C'est une gifle qu'elle donne à la domination des hommes, une gifle qui fait du bien.

Et l'on suit années après années le chemin destructeur de cette Agnès bâillonnée, tourmentée, en perpétuel étouffement.

Quelques scènes disent et redisent la douleur, le cri, comme une litanie obsessionnelle, une répétition maladive de la violence, le cauchemar récurrent. Comme si dire ne suffit pas à purger la souffrance. Comme s'il n'y avait pas de libération possible, ni de pardon.

Mais ces répétitions ralentissent la fin de la pièce. Elles apparaissent comme des développements variés sur un même thème, un peu comme des analyses psychologiques qui alourdissent, deviennent explicatives et émoussent la cruauté.

Pourquoi ne pas avoir arrêté la pièce sur la simple réplique de l'amoureux de l'Agnès de 30 ans devenue femme, devenue avocate, devenue : « Quelle femme étrange ! » dit-il au moment où il comprend l'attirance qu'il ressent pour elle. Tout l'espoir vibre dans ces quelques mots, un possible… On resterait ainsi sur cette vivifiante gifle que nous donne avec tant de générosité Catherine Anne et toute sa belle troupe de comédiennes toutes plus intenses les unes que les autres. Une manière de dire : réveillez-vous, réagissez, révoltez-vous.

Bruno Fougniès

 

 

Agnès

Texte et mise en scène Catherine Anne,

Avec
Morgane Arbez, Léna Bréban, Marie-Armelle Deguy, Océane Desroses, Caroline Espargilière, Évelyne Istria, Lucile Paysant, Stéphanie Rongeot, Mathilde Souchaud

Scénographie Sigolène de Chassy
Lumières Nathalie Perrier
Assistante lumières Mathilde Chamoux
Son Madame Miniature
Assistant son Thomas Laigle
Costumes Floriane Gaudin
Perruques Laurence Berodot – Mélanie Gerbeaux

Assistant à la mise en scène Damien Robert
Régie générale Arnaud Prauly