LADY IN THE DARK

 

Mon Dieu, quel plaisir!

Quel plaisir que d'assister à un pareil spectacle où le rythme, l’énergie des interprètes, l'inventivité du metteur en scène emportent tout dans leur mouvement.

Rappelons brièvement l'histoire: Lady in the dark fut écrit en 1941 par Kurt Weill ((auteur de l'Opéra de quat'sous,) et Ira Gershwin (le grand frère de George Gershwin), sur un livret de Moss Hart. L'héroïne, Liza Elliot, est rédactrice en chef d’un magazine de mode. Heureuse en apparence, elle est en proie à une déprime qu'elle ne parvient pas à définir. Sur le divan du psychanalyste, elle s'évade et fait trois rêves différents qui correspondent à trois séquences de l’opéra : le rêve de glamour, le rêve du mariage et le rêve du cirque .

Kurt Weill a voulu écrire pour les trois séquences de rêves trois véritables opéras en un acte. Le monde diurne, le théâtre, l’inconscient, la musique coexistent dans le véritable numéro d’équilibriste qu’exécute pour nous Liza. La clé de l'analyse se trouve dans la musique. Il y a une chanson qui hante la mémoire de Liza, mais elle ne parvient pas à se souvenir des paroles. Le thème sert de leitmotiv à toute la pièce. On apprendra à la fin qu'elle fut chantée pour la première fois par Liza à l'âge de trois ans dans un contexte de rejet parental et d'humiliation. Quand enfin, Liza pourra chanter cette chanson (il s’agit de "My ship", devenu un standard du jazz) les choses pourront commencer à s'arranger pour elle.

Deux interprètes se partagent le rôle de Liza, l'une pour la partie parlée, l'autre pour les parties chantées, ce qui traduit à merveille la dualité du personnage et permet également des mouvements de mise en scène ingénieux. Leurs voix comme d'ailleurs celles des autres interprètes n'appartiennent complètement ni au lyrique ni à la variété, mais cette sorte de "mixité" ne m'a pas gênée dans ce contexte, l'œuvre étant elle-même tellement "hybride".

Fuyant Berlin pour l'Amérique, Kurt Weill s'était immédiatement et complètement senti américain. Dans Lady in the Dark, il s'était amusé à faire un résumé de toutes les formes qui ont constitué l’histoire de la comédie musicale américaine : la parade de cirque, la variété, le show, la revue et l’opérette.

Jean Lacornerie, le metteur en scène (et co-directeur avec Etienne Paoli du théâtre de la Renaissance à Oullins, près de Lyon) a parfaitement capté cet esprit en présentant numéros de cirque, de prestidigitateur, de claquettes ou encore héroïne qui s'envole dans les airs en une époustouflante scène de yoyo. On pourrait croire que cette comédie musicale a été écrite aujourd'hui tant le thème et les personnages paraissent actuels. L'astuce de la mise en scène la rend intemporelle: rien dans les costumes (d'une folle originalité) ou le décor (jeux de rideaux, colonnes lumineuses qui se déplacent) ne permet de dater l'histoire. Les deux mondes (réel et rêvé) s’opposent dans une construction dramaturgique savante, totalement singulière. On passe de l'intimité la plus troublante du cabinet de l'analyste à l'exubérance généralisée dans les bureaux du magazine et puis tout à coup s'ouvre avec la musique l'espace du rêve et du fantasme .

On oscille sans cesse de la vie « réelle » représentée par le théâtre parlé, construit dans une grande sobriété de jeu, de décor et de costumes, au rêve représenté par la comédie musicale où la folie s'empare de la scène, dans une débauche de mouvements et de couleurs.

Le coup de génie de Moss Hart et d'Ira Gershwin, c'était d'avoir fait d’une quête analytique une formidable comédie musicale, surprenante, riche, rythmée où tout finit loin du divan. Comme Woody Allen le fera des années plus tard, ils ont traité de la psychanalyse sur le mode léger.

Le coup de génie de Jean Lacornerie, c'est d'avoir proposé cette création en France avec le partenariat de l'Opéra de Lyon. En effet, en 1941 quand l'oeuvre a été créée à New York, personne ne s'y était intéressé en France… Ensuite les admirateurs de Brecht ont tenu le haut du pavé, et tout ce que Weill avait fait sans lui est passé dans l'ombre. Merci donc à Jean Lacornerie de nous avoir permis de découvrir cette œuvre qui nous parle de psychanalyse, mais aussi de liberté, de souffrance, de quête de soi avec humour et légèreté.

 

Nicole Bourbon

 

 

En savoir plus

http://www.classiquenews.com