C’EST PEUT-ÊTRE LEPREST

Théâtre Les Déchargeurs
3 rue des déchargeurs
75001 PARIS
Du 20 août au 17 décembre, chaque lundi à 21h.
08 92 70 12 28

Depuis que le chanteur Allain Leprest nous a quittés, nous sommes bon nombre à réécouter ses chansons, voire à courir les hommages qui lui sont rendus de partout. Adamo s’y est collé, et Michèle Bernard et Anne Sylvestre et tant d’autres. Cela a fait l’objet d’une soirée ou d’un CD.

Leprest se définissait comme « le plus connu des chanteurs inconnus ». Il n’a pas, de fait, joué le jeu médiatique qui aurait permis à son œuvre, inspirée, fignolée, d’être sous les feux des projos. Il faisait ses chansons dans son coin, en écrivait pour d’autres, les chantait dans des bistrots, des salles plus ou moins grandes (le bouche à oreille faisait alors son effet) et cela paraissait lui suffire.

Mais il faut découvrir ou redécouvrir Allain Leprest. Ici, c’est son propre pianiste, Jean-Louis Bédon, qui reprend les partitions, rouvre son piano inspiré et accompagne sur scène un petit nouveau, Yann Denis. Les deux lascars ont un talent certain : talent de musicien de Jean-Louis Bedon, virtuose qui vit, littéralement, les chansons qu’il joue. En matière d’interprétation, Yann Denis a une présence certaine. Il prend parfois des libertés avec la mélodie d’origine, façon pas forcément nécessaire d’imprimer sa marque. Bien sûr,  tout cela va se mettre en place peu à peu, pour le plus grand bonheur des puristes. Déjà responsable d’un récital Brel, Yann Denis en a gardé une fougue et une gestuelle « dramatique ». Ce qui n’exclut pas une sobriété de bon aloi quand il faut. Efficacité garantie, …le public ne s’y trompe pas.

Nous aurons droit à « Mont Saint-Aignan », chanson mélancolique sur l’enfance, à « Chien d’ivrogne », entre autres. Au passage, on aura apprécié le goût de « la Gitane » : « …allumer ma bouche et entendre battre le cœur de caporal. »

« On saurait que le temps, c’est de l’amour, …», entend-on dans « Ton cul est rond ». Après un « c’est peut-être » sur les vocations sacrifiées, voici « Il pleut sur la Manche » au cours duquel est filée la métaphore indienne : « C’est l’été Comanche, … sur la manche ! » et on se régale d’entendre que « l’amour a des nœuds plein sa mise en pluie !».

On le voit, les mots dansent, ils rient de tout leur éclat. Leprest a l’art de les manier, de les agencer, de créer une ambiance, dérisoire ou mélancolique, …de s’intéresser à des personnages de paumés, ou d’errants. On fume, ici, on boit, on rigole ou on pleure, on donne de ses nouvelles à celle qui est partie, ou on parle d’autre chose. De fleurs, par exemple ou de bals perdus. Nostalgie de l’enfance (père communiste inclus), de cette Normandie qui l’a vu naître. La poésie n’est jamais loin, voir « Où vont les chevaux quand ils dorment ? » et le formidable « Saint-Max ».

Le récital, plein et dense, ne serait pas complet sans « Le temps de finir la bouteille », cet hymne admirable aux soirées arrosées et à tous les espoirs qu’elles véhiculent.

Une soirée à recommander, à ceux qui découvriraient Allain Leprest et à ceux qui le connaissent et qui voudrait le retrouver intact, avec sa sensibilité d’écorché vif.

 

Gérard Noël

 

 

C'est peut-être Leprest

Avec Yann Denis et Jean Louis Beydon au piano