ÊTRE OU PARAÎTRE

Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles
75017 Paris
01 42 93 13 04

Jusqu’au dimanche 31 décembre 2017
Les dimanches à 19h30 et les lundis à 20h00

 

Être ou paraître loupe 

Pour Jean-Louis Barrault, « Danser, c’est lutter contre tout ce qui retient ».

Sur la scène du Studio Hébertot, dès que les lumières dissipent l’obscurité du plateau, Julien Derouault, en marcel et slip blancs, attaché par la taille à une corde qui le retient prisonnier, se met à gesticuler comme un beau diable pour se libérer et atteindre une couronne posée un peu plus loin sur l’accoudoir d’un fauteuil-club.

De tout son corps il se tend vers cet objet du désir et toute sa musculature saillante se dessine avec un relief incroyable – magnifique écorché digne d’un Léonard de Vinci ou d’un Michel Ange.

Enfin il parvient à se délivrer et à s’emparer de la couronne pour s’auto-sacrer, non pas danseur mais… poète.

Car danseur, il l’est, à l’évidence.

Mais poète ?

Et d’abord, qu’est-ce qu’un poète ? s’interroge-t-il en reprenant le questionnement d’Aragon.

« Une personne qui tente de dire l’indicible douleur et l’indicible beauté de l’existence ».

Et c’est avec son corps que Julien Derouault le dit.

Puisque, selon ses propres paroles « le monde se vit à travers le corps. »

« On peut tout raconter avec le corps », ajoute-t-il, car « un geste vaut mille mots ».

Mais lorsque le geste accompagne les mots, lorsque le danseur se fait conteur pour mêler à sa chorégraphie un poème d’Aragon ou des tirades shakespeariennes, on assiste à un spectacle étonnant « liant poésie, danse et interprétation », pour reprendre l’expression de Cendrine Orcier, professeur de théâtre au Cours Florent.

Avec Julien Derouault, dans Être ou paraître, cette chorégraphie poétique créée à Avignon en 2014 et mise en scène par Marie-Claude Pietragalla (sa partenaire dans la vie comme à la scène), la danse n’est plus « une poésie muette ». Elle est « une poésie bavarde » (Cendrine Orcier).

Être ou paraître ? That is the question.

Il faut paraître ce que l’on est, ai-je lu un jour, auquel cas être et paraître ne s’opposent pas comme on le croit communément.

Et sur scène, Julien Derouault paraît ce qu’il est à coup sûr : un travailleur acharné qui, jour après jour, semaine après semaine, année après année, s’est astreint à une discipline de fer pour pouvoir danser – sans se ménager, et à la limite de l’épuisement, – tout en déclamant des passages de La nuit des jeunes gens ou de Richard II.

Il aurait pu se contenter de danser sur des textes enregistrés, après tout, mais non, il a choisi la difficulté.

Quelle maîtrise du corps et du souffle cela suppose, ne peut-on s’empêcher de penser à la vue de son torse luisant, de son diaphragme qui se soulève et s’abaisse régulièrement, de l’empreinte de sueur qu’il laisse contre le sol noir du plateau sur lequel il s’est abattu !

C’est un acteur qui danse, a dit de lui celle qui aime qu’on l’appelle Pietra.

Un acteur en effet, car qui d’autre qu’un acteur pourrait accomplir cette performance de restituer, une heure durant, des pans entiers de textes littéraires ?

Pour arriver à faire, de la sorte, cohabiter théâtre et corps, ce passionné des mots a, en 2013, intégré les cours Florent en 3ème année pour se former au jeu de comédien.

Ainsi le Théâtre du Corps, la compagnie qu’il a créée avec sa partenaire en 2004, prend toute sa signification.

L’accompagnement musical de Yannaël Quenel, qu’on aurait aimé voir sur scène avec son piano – mais sans doute l’exigüité du plateau ne le permettait-il pas –,  magnifie cette prestation devant laquelle on reste interdit.

On regrettera cependant que le plaisir ressenti ait, ce soir-là, relevé plus de l’intellect que de l’émotionnel.

Ce soir-là, je précise, car, comme dans tout spectacle vivant, si les représentations se suivent, elles ne se ressemblent pas systématiquement, et je gage que le même spectacle, à une date différente, aurait pu, ou pourrait, me procurer l’émotion que j’aurais dû normalement éprouver vu la qualité de l’artiste qui allie généralement virtuosité ET sensibilité…

Élishéva Zonabend

 

Être ou paraître

Textes de : Louis Aragon, William Shakespeare
Mise en scène : Marie-Claude Pietragalla
Chorégraphie : Marie-Claude Pietragalla, Julien Derouault

Avec : Julien Derouault

Création musicale : Yannaël Quenel
Création lumière : Samuel Boullier, Marie-Claude Pietragalla
Collaboration théâtrale : Cendrine Orcier

 

Mis en ligne le 11 octobre 2017