SCALA

La Scala – Paris
13, bd de Strasbourg
75010 Paris
01 40 03 44 30

Jusqu’au 24 octobre
mardi, mercredi, vendredi, samedi à 21h, dimanche à 15h

 

Shiganè Naï loupe © Géraldine Aresteanu

Le temps s’arrête, reprend, recule, repart et recommence. Les objets se décrochent, se dérobent et se désarticulent puis reprennent leurs formes en se reconstruisant pièce par pièce. Les meubles, les topographies et les perspectives s’effacent et se noient dans un bleu sous-marin qui recouvre jusqu’aux sols. Ralentis, déconstructions, reconstructions et répétitions hallucinées rythment cet opus où les visions cinématographiques font narration.

Pourquoi parler du décor en premier, pardon de la scénographie, pour un spectacle dont la véritable charge émotionnelle réside dans la chorégraphie et l’acrobatie ? Dans ce cas rien de plus légitime. Tout d’abord parce que cette création est née pour et à la demande du lieu, la Scala, salle de spectacles vivants qui renaît cette année de ses cendres, métamorphosée après presque un siècle d’égarements commerciaux. Lieu au passé ludique, cabaret à l’origine, lubrique, il fut multiplex de ciné porno, mystique, ses derniers propriétaires : une église secte qui voulait y fonder son temple.

Mais c’est aujourd’hui table rase de cette réplique de la Scala de Milan : Richard Peduzzi ouvre l’espace jusqu’aux fondations, aux poutrelles et aux tuyauteries et fait surgir un esprit de friche postindustrielle là où brillèrent les plâtres dorés.

Lignes droites, tubulures, cintres et coursives apparentes, le tout recouvert de ce bleu comme pour une installation provisoire.

Ce bleu a pris également possession du plateau et de son décor en niveaux multiples. Yoann Bourgeois à absorbé la réalité de la salle, ainsi que celle des machineries cachées d’un plateau de théâtre et des trucs scéniques pour imaginer un spectacle en accord total avec le lieu qu’il raconte. Au départ, tout semble jeu. Jeu de miroir qui transforme les danseurs circassiens en clones, en unités semblables. Jeu de disparition derrière des portes factices, théâtre qui claque… Jeu de contorsion au travers de trappes au sol qui avalent qui passe là. Ils sont un, puis deux, puis cinq, six, identiques, uniformes, en perpétuel répétitions, chutes et rétablissements. Comme des temps, des jours qui de cessent de se ressembler. Comme des vies tellement identiques que leur uniformité transit. Un monde où l’organique finit par être seulement la continuité de la mécanique, des objets, des choses.

Beauté, images magiques et noirceurs de la vision alternent dans une chorégraphie qui tient autant de la construction dramatique, que de la danse et du cirque.

Le silence lui-même, par moment devient source d’inquiétude et d’étonnement. Les voix, comme ponctionnées directement au cortex, dans une atonie cohérente avec le reste, sont des questions de l’ordinaire, aussi vitales et aussi futiles qu’une cellule dans un corps.

Mais l’apesanteur qui révèle l’élan vital vient fasciner. Une chorégraphie qui devient aérienne et réconforte. Scala est ainsi autant sur le fil d’une narration dramatique qu’objet artistique en apesanteur mais il est surtout une magnifique performance des interprètes, danseurs et circassiens, tous d’une incroyable précision, que cela soit dans la grâce, dans le rythme, et dans le jeu avec ce décor qui paraît presque plus vivant que les êtres. Dévorant.

Bruno Fougniès

 

Scala

Conception, mise en scène et scénographie de Yoann Bourgeois
Yurié Tsugawa, assistante artistique
Jérémie Cusenier, lumières
Sigolène Petey, costumes
Antoine Garry, son
Yves Bouches et Julien Ciadella, conception et réalisation de machineries
Bénédicte Jolys, conseils scénographiques
Albin Chavignon, régie générale

Avec Mehdi Baki, Valérie Doucet, Damien Droin, Nicolas Fayol, Emilien Janneteau, Florence Peyrard et Lucas Struna

 

Mis en ligne le 22 septembre 2018