LES VIEUX OS

Ferme de Cottinville - Grange dîmière

41 rue Maurice Ténine

Fresnes

01 49 84 56 89

Le 18 octobre 2011

 

La Compagnie Monsieur et Madame O dessine les contours d’une vieillesse que l’on cherche à ranger, oublier et qui ne se laissera pas faire, dans cette truculente tragicomédie visuelle, où se rencontrent grincements, ironie et tendresses, urgences du présent et douceurs de la mémoire. Cette pièce sans paroles (à l’exception d’instants de grommelot) clame haut et fort, et avec humour, le simple droit de vivre, c’est à dire librement, c’est à dire avec ardeur, élan, c’est à dire avec couleur et débordements, malgré la fragilité de l’âge et toutes les faiblesses d’un corps vieillissant.  

 

Nous voici dans la chambre d’une maison de retraite, murs bleus et sol lino gris, un lit « juste un peu trop haut », une télévision « juste un peu de travers », un cadre de photo tristement vide, une fenêtre « sur couloir » avec petit store blanc, un vase sans fleurs ; le décor est planté, comme un dessin de bande dessinée, dans lequel vont évoluer dans un huit clos rebondissant nos deux Vieux, aux silhouettes et gestes tout aussi dessinés : lui, sévère, fraîchement arrivé et révolté ; elle, légère, fleurie, qui vogue sur le temps. Les demi-masques créés par le talentueux Loïc Nébréda permettent à Françoise Purnode et Laurent Clairet de porter la vieillesse comme une seconde peau, complétant à merveille la construction corporelle précise et savoureuse de leurs personnages. Au delà de cette valeur scénique du demi-masque, on peut y voir aussi un parallèle avec le « masque » social que devient effectivement la vieillesse, nos rides et cheveux blancs se posant en traîtres contre une vitalité intérieure occultée aux yeux d’une société qui ne sait plus voir derrière ce masque, justement.

 

Et voici donc nos deux Vieux ; lui, marque les jours comme en prison et s’acharne. Elle, dessine des poissons sur les murs et crée sa plage ensoleillée, transat à l’appui. Leurs univers opposés vont se rencontrer dans ce même élan du vouloir vivre. Ils vont s’apprivoiser à coup de mesquineries et invasions, de refus et de petits trous de mémoires, sur fond d’acrobaties involontaires sur matériel médicalisé, jusqu’aux timides premiers moments de complicité ; devenant petit à petit indispensables l’un pour l’autre. Au fil des célébrations « organisées » par la maison de retraite, par haut parleur grésillant interposé, - la mise en scène de ces instants est succulente ; Noël, le 14 juillet, carnaval, un petit chapeau sur la tête, assis au pied du lit totalement incrédules - la tendresse s’installe entre eux, et commence la résistance !  Ils se rebiffent contre les alarmes qui sonnent au moindre interdit, les horaires stricts et l’ordre imposé, en particulier dans l’ultime scène de résistance qui explose sur une musique digne d’un film de Tarantino. Et ça déménage ! Puis soudain, comme ça, sans trop qu’on s’en soit aperçu, ils nous ont ramenés à leur fragilité, à leur touchante (et peut-être révoltante) réalité ; ces contre-poids poétiques ponctuent toute la pièce, soutenus par l’habile bande son de David Lesser, au gré des souvenirs des deux personnages, projections de films en noir et blanc d’un autre temps ; et celui de la pièce se suspend. Comment peut-on terminer son « film de vie » entre ces quatre murs sans âme ?

 

L’inhumanité des lieux est d’ailleurs décuplée par les interventions des soignants et intendants (également joués par Pernode et Clairet), qui sont montrés comme des êtres bêtes et méchants, peu consciencieux et même voleurs. C’est le parti pris d’un humour noir grinçant, qui n’est pas sans dénoncer, par l’exagération, une réalité certes préoccupante, mais il fait parfois l’effet d’un crissement d’ongle sur un tableau noir : ça irrite. La caricature unidimensionnelle de ces personnages qui manipulent avec une certaine violence les pensionnaires manque peut-être, pour le coup, de la finesse nécessaire à faire passer poétiquement ce message important. Ils dérangent alors qu’il faudrait qu’ils soient dérangeants, ils gênent alors qu’ils devraient interpeller. Seul bémol d’une pièce autrement réussie, et qui fît dire à certains des parents présents que l’appellation « tout public » n’est pas tout à fait exacte.     

 

Il reste que Monsieur et Madame O ont eu le courage d’aborder ces thèmes que l’on balaie sous les tapis, que l’on combat à coup d’images remasterisées et de lifting à gogo : la vieillesse, la mort, l’abandon de nos aînés et leur solitude ; et ils en font, avec talent, un chant de bataille tragiquement drôle, au son des corps et décors. De quoi se rappeler d’honorer gaiement nos prochaines rides !

 

Laurenne FABRE

 

Les Vieux Os, de Violaine Clanet, Françoise Purnode et Laurent Clairet

Compagnie Monsieur et Madame O •

www.monsieuretmadameo.org

Mise en scène : Violaine Clanet et Laurent Clairet

Avec : Laurent Clairet et Françoise Purnode

Création de masques : Loïc Nébréda

Décors : Laurent Clairet