BLASTED

Théâtre de NESLE,
8 rue de Nesle
75006 PARIS
01 46 34 61 04
Les mercredi & jeudi à 21H jusqu'au 15/01/2012

Sarah Kane, auteur dramatique britannique née en 1971, a choisi de quitter ce bas monde en 1999. Parmi la poignée de pièces qu'elle a laissée, « Blasted » est la plus marquante, sinon la plus importante. On pourrait traduire le titre par « dévasté » ou « anéanti ».

Elle baigne dans un climat à la limite du gore et se concentre dans un premier temps sur un couple dans une chambre d'hôtel : il boit et fume. Elle le sait malheureux et est venue le voir, … comme ça. Il prétend abuser de la situation, et d'elle, ce qui donne lieu à des scènes explicites, crues où la violence tient davantage de place que la tendresse. Les deux personnages sont déchirés, sensibles l'un et l'autre à la situation de la ville tout autour, chômage, (ne sommes-nous pas en pleine époque thatchérienne ?) crasse, violence, désolation. Sans oublier le conflit puisque le jeune homme, qui s'avère être journaliste, rend compte de la guérilla urbaine dans les rues toutes proches. Y a-t-il une référence à l'IRA ? En tout cas ce climat est tout à la fois proche et lointain, il crée sur scène un côté oppressant. La fille a des évanouissements, depuis le retour de son père ( ?) le garçon, quant à lui, annonce à plusieurs reprises qu'il ne va pas tarder à mourir. La première partie se clôt sur cet échange :
Elle — Avant, je t'aimais.

Lui — Maintenant, tu me vois.

Et c'est l'irruption du soldat, menaçant et armé. La fille a disparu dans l'intervalle dans la salle de bains, et s'échappera par la fenêtre. On assiste alors à une scène inversée où le soldat va faire subir au jeune homme (menaces, violence, abus sexuels) ce qu'il avait lui-même fait endurer à sa compagne de la nuit. Si le jeune homme s'était déclaré homophobe et raciste, la soldat est tout aussi gratiné : n'évoque-t-il pas un viol collectif et, avec gourmandise, les exécutions sommaires qu'il a pratiquées ? Cependant les tirs et les combats continuent à l'extérieur.

Qu'en retenir ? Le jeu des comédiens est tout à la fois précis et engagé. Très physique. Ils se donnent à fond. Toute la distribution mérite d'ailleurs d'être citée : Charlotte Moulin, Noémie Martin, Syrus Shaidi et surtout Pierre Scot, dans ce rôle à double face. :

Dans un décor où les objets, peu nombreux, sont réduits à leur fonction (une bouteille, un revolver, un fusil) la place principale est tenu par le lit, durant toute la première partie. Ensuite, nous avons affaire à des personnages « debout » : nous sommes passés de la sphère privée au côté social. Il leur faut assumer leurs choix, leurs erreurs passées. Boucler la boucle de leurs destins.

Wally Bajeux, responsable de la mise en scène a prévu de faire dire les didascalies par une comédienne, ce qui vaut parfois mieux, notamment à la fin où l'escalade dans l'horreur pourrait devenir insupportable. Nous sommes donc dans une approche qui mélange le réalisme et ce recul cher à Brecht. Le résultat convainc.

Avec une programmation éclectique, qui va de Dickens à Prévert en passant par des récitals de chansons, ce lieu de la rue de Nesle poursuit sa tâche de découvreur ou redécouvreur. Qu'il en soit remercié !

 

Gérard NOEL

 

Blasted

Auteur : Sarah Kane
Mise en scène : Wally Bajeux
Avec : Pierre Scot, Charlotte Moulin, Noémie Martin, Syrus Shaihidi