AUTOUR DE LA FOLIE

Au Lucernaire,
53 Rue N.D des Champs,
75006 PARIS
01 45 44 57 34
Du mardi au samedi à 20h jusqu'au 16 octobre et le dimanche à 17h.


Photo Lot

La scène est sombre. Dans un coin, tout proche du public, apparaît dans le faisceau d'une lumière chaude et obscure à la fois, la silhouette muette d'un homme au regard troublé. Comme observant un monde qui lui semble irréel. A moins que ce ne soit lui qui ne soit devenu irréel dans un monde qu'il ne suit plus…

Ainsi commence ce spectacle exigeant, qui nous emmène, à travers de magnifiques textes de Maupassant, Flaubert, Michaux ou Karl Valentin et d'autres, le long des ravins de l'esprit, quand celui-ci rencontre et transgresse ses limites. Du bord de ces falaises, nous contemplons ceux qui ont plongé dans le gouffre, s'y sont jeté ou y sont tombé, tous ces « fous » incarnés avec générosité et finesse par Arnaud Denis, qui tout au long de la pièce sait nous faire parvenir avec justesse ces proses extrêmement riches, et par moment très drôles, exercice périlleux en soi pour un « seul en scène » de près d'une heure et demi. Et malgré de rares moments un peu trop en force, il nous offre un jeu rythmé, donnant une organicité aux mots et un corps aux pensées torturées (bien qu'effroyablement logiques !) de ses personnages.

Mais ces pensées méritent-elles une telle inculpation ? Ou nous effraient-elles par la rupture qu'elles risquent de causer avec notre ordre établi ? Pourquoi avons-nous besoin d'appeler fou' l'homme qui cesse de voir le monde tel que la norme le dicte ? « Un fou, cela fait horreur », nous dit Flaubert. Voilà l'interrogation constante qui porte la pièce, navigant au fil de ces textes dans une mise en scène sobre, aux lignes dynamiques très claires. Chaque tableau se dessine dans l'espace vide ou s'habille de quelques éléments seulement, comme ces deux chaises face à face, le patient sur l'une s'adressant à la chaise vide du psychiatre… qui pourtant est rendu bel et bien présent. On le sent, on le perçoit. Et l'on perçoit aussi l'infinie solitude de l'homme « sorti du rang », dont les mots résonnent dans le vide sans pouvoir être entendus. Au fur et à mesure que l'on déambule dans les territoires buissonneux et éclectiques de cette ‘folie', les chaises rétrécissent, pour finir comme les morceaux d'une maquette sans vie, un jeu, une maison de poupée que l'on aurait abandonnée. La chaise du patient renversée comme on dépose les armes. Ou peut-être comme on s'envole …  

Un montage intelligent, une effrayante promenade entre la folie douce qui amuse et la fureur qui glace, Arnaud Denis a réussi son pari, et ne reste pas seulement « autour de la folie » mais sait y entrer entièrement, de tout son corps, la peindre dans ses différentes nuances. Une création à découvrir jusqu'au 16 octobre au Lucernaire.  

 

Laurenne Fabre.

 

De Textes de Maupassant, Flaubert, Michaux, Lautréamont, Shakespeare, Karl Valentin, Francis Blanche..

Mis en scène par Arnaud Denis

Avec Arnaud Denis