LES ANIMALS

 

Les Animals loupe 

Les devenir-animals qui raniment Labiche.

 

« Les Animals »

 

Avec

Guillaume Fafiotte, Nathalie Lacroix, Phillipe Lardaud, David Maisse, Isabelle Ronayette

 

D’après deux pièces zoologiques en un acte d’Eugène Labiche: La Dame au petit chien et Un Mouton à l’entresol /

Musique Jonathan Pontier /

Dramaturgie Olivier Chapuis /

Scénographie Laurence Villerot/

Lumières Ivan Mathis /

Costumes Pauline Pö /

Collaboration Karine Ponties /

Assistante à la mise en scène Aurélie Allesandroni

 

 

Du mer 7 au ven 16 décembre

Mer et jeu à 19h30 / Ven

à 20h30 / Sam à 19h / Mar à 20h30 / Mer et jeu à 19h30 / Ven à 20h30

TnBA

– Grande Salle Vitez

– Durée 2h05

Spectacle en audiodescription le 15 décembre

 

Tarifs Plein : 25 € / Réduit :12 €

Abonnés: de 9 € à 15 €

Tarif dernière minute: Plein tarif 17 €/ Tarif réduit : 10 €

TnBA du mardi au samedi de 13h à 19h

T 05 56 33 36 80 //

billetterie@tnba.org

sur www.tnba.org

 

La pièce s'ouvre sur une nature morte : un piano joue tout seul tandis qu'une femme inerte sur son canapé, cachée sous ses jupons de crinoline, nous offre à voir ses jambes et ses dessous. Nature morte où le vivant, pourtant présent, n'est pas.

 

Avec « Les Animals », Jean Boillot repense la critique bourgeoise du second empire d'Eugène Labiche transformant l'intérieur d'un salon calfeutré et endormi en un zoo pop-up tour à tour cage dorée, basse-cour, tanière, lieu d'accouplement, de séduction, d'expériences, cabinet de curiosité, jungle.

 

Dans cette maison bienséante où va se défaire le vaudeville, le metteur en scène renverse les ressorts classiques du comique en ravivant deux classiques du genre : « La dame au petit chien » et « un mouton dans l'entresol ». Par cet éclairage contemporain à rebrousse-poil, distancié et déformé, anamorphique voire transformiste, il ne s'agit pas tant ici de faire une critique de la bourgeoisie que de raviver les pulsions animales qui nous animent.

 

Dans ce dytique, la figure protagoniste d'un parasite vient retapisser de sa présence l'espace de cette maison bourgeoise. Derrière les conventions sociales, les rideaux aux plis parfaitement ajustés, les domestiques ankylosés, traînant des pieds, servent une femme neurasthénique quelque peu dépressive et un mari naïf quelque peu stupide, formant un couple retranché dans son confort de surface. Usant de tous les subterfuges à la fois, ce nuisible, hybride entre un bestiaire à la Chagall néo-primitisvisme et celui de La Fontaine, à la fois méchant et séduisant, séduisant par sa malignité machiavélique, vient mettre un coup de pied dans une fourmilière dominante endormie. Artiste, il impose l'orange dans cet intérieur gris et triste, fatigué et sans vie, déprimé et déprimant.  Ainsi, du renard vil et flatteur à la belette fine et rusée, il n 'y a qu'un pas que cette mouche du coche franchit, tour à tour cheval fougueux et souris craintive, gargouille méfiante et loup voyeuriste, maître culpabilisateur et amant manipulateur. Cet animal intrusif réussit à tisser des fils arachnéens jusqu'à instrumentaliser l'ensemble de la maisonnée, incitant même les marionnettes à couper leur propre fil pour eux-mêmes repriser les vêtements de l'usurier en question. Les rôles se renversent, jusqu'à dévoyer le mari qui bafoue ses propres convictions, jusque dans une hystérie collective contenue, jamais percée, presque frustrée. Craintif dans la retenue, furtif dans l'intrusion, méfiant dans le retrait, rapide dans l'opportunisme, hésitant dans ses avances, précipité dans ses élans, méfiant, marchant sur des œufs ou enfonçant les portes sans scrupules, au fond, on assiste dans une rapide progression à un piège, tantôt maladroit, qui se referme. Jouant sur plusieurs tableaux, entre peur de tout et peur de rien, apparences et manigances, ce docteur Jeckyll et Mister Hide sans foi ni loi, assouvit son plan diabolique fomenté de toute pièce, capable de tout pour prendre la place, la femme et mettre à mal la vie du pauvre bourgeois. Les ficelles s'emmêlent, mais tout est bien qui finit bien pour ce chat-man qui retombe sur ses pattes.

 

Et si le vers est désormais bel et bien dans la pomme, il y est également dès le départ dans la seconde pièce.

 

Changement de décor, il y a quelque chose qui grince dans cet entresol que Jean Boillot traite également par le revers : dans ce cabinet de curiosités règne une fausse « inquiétante étrangeté » où il ne passe finalement pas grande chose. On rit d'une histoire boiteuse qui raconte peu sinon le parasite domestique, seulement de dénomination, bossu et plutôt intéressé par la fonction de vétérinaire que de valet qui mettra tout en œuvre afin d'en découdre avec la pathologie du moment qui l'intéresse : le « tournis du mouton ». Caché derrière sa bosse dorsale et ses lunettes de soleil, ce pseudo Baron Samedi filiforme, nonchalant, désabusé et obsédé par ses expérimentations laborantines, fait éclater les conventions sociales de l'époque à des fins amorales, persistant dans d'infructueuses et étonnantes expériences animales. Un faux bossu, un faux couple, un faux diagnostic, un quiproquo : d'affaires meurs en histoires extra conjugales, on retombe là encore sur une happy end déroutante, trois moutons et une noce.

 

Pendant plus de deux heures donc, dans une cadence endiablée, un rythme enlevé et surréaliste emportant dans son sillage le spectateur, le jeu des comédiens se déploie entre les dialogues,  empruntant au cinéma d'animation les déplacements, les fulgurances, entre gestuelles grossières, comique de répétition et mimiques et attitudes exagérées. On oscille dans un jeu à vitesses multiples, où les mouvements s'articulent dans des situations à la Monty Pithon, de tableaux suspendus, fixes et fugaces, pour mieux repartir ensuite, d'actions étirées en intervalles chantés, moments d'emphases et fourbes apartés.

Jean Boillot détourne le texte de Labiche en brodant dans les interstices du texte pour lui donner un souffle contemporain et décalé. Il ne s'agit plus seulement d'interpréter une pièce, mais de la façonner comme s'il s'agissait d'un objet plastique dans une écriture visuelle donnant au décor et aux accessoires finalement autant, voire même parfois plus, d'importance que les mots.

 

A partir de deux canevas somme toute assez sommaires et classiques, Jean Boillot brode une mise en scène efficace et percutante, drôle et dynamique, de quoi presque réconcilier les détracteurs du vaudeville et les septiques de Labiche.

 

Cynthia Brésolin

 

Mis en ligne le 10 décembre 2016