CHEKHOV’S FIRST PLAY

TNBA – Salle Vauthier
3, place Pierre Renaudel
33800 BORDEAUX
05 56 33 36 80

Première française
Dans le cadre du Festival International des Arts de Bordeaux Métropole

Jusqu’au vendredi 21 octobre à 20h00
En anglais surtitré en français

 

Chekhov’s First Play loupePhoto José Miguel Jimenez 

« What's the fake ? »

Casque sur les oreilles, mettant à distance et créant paradoxalement une intimité avec le plateau, le spectateur prend place. Accompagné par le metteur en scène qui l'embarque dans des explications suspectes et inutiles, il comprend très vite que ce Platonov ne restera pas le classique de Tchekhov.

Le rideau s'ouvre pourtant sans surprise sur un décor en carton pâte, figé et suranné, respirant l'ennui. On craint le conventionnel d'une histoire sans histoire, rangée et placardisée dans une trame dont on connaît déjà l'issue tragique. Très vite, les explications off du metteur en scène prenant de plus en plus de place viennent parasiter et se tuiler avec ce qui se joue devant nous. Les commentaires détraquent et perturbent l'histoire en digressions personnelles. On dérape sur des justifications absurdes, considérations exogènes et questions existentielles de cette voix off, jusqu'à en devenir presque encombrante pour tous. Insupportable.

Coup de théâtre. Fin du premier acte.

Changement de vitesse. Tout se déglingue et s'accélère : on dénonce à coup de feu, de masse, martèle à l'imposture, on danse la mécanique factice. Tout se délite. Petit à petit, l'histoire, ne tenant déjà qu'à un fil, se défait pour s'attacher à une énorme boule de démolition, sans facette, terne et sans réfraction, qui vient dynamiter cette maison de campagne artificielle et poussiéreuse.

Dès lors, quand le masque théâtral tombe, quand l'écriture-canevas tchékhovnienne se fracture, quand les micros sont fermés, quand la façade-habitat se troue : que se passe-t-il ? Que reste-t-il de la courtoisie du verbe, enrobée et enrubannée dans des robes et costumes poudrés ? Quand les personnages flétris et sans espoirs se rebellent ?

Platonov entre sur scène.

Notre attention se fixe, dès lors, sur ce protagoniste ambiguë, à l'inertie apparente.

Le Platonov-spectateur de Bush Moukarzel et Ben Kidd ne parle pas, sa seule présence suffit à attirer l'attention. Les personnages se cognent à lui dans un dialogue sans réponses, où les désirs exprimés leur sont renvoyés en pleine figure comme autant de frustrations désenchantées. Si Platonov n'est plus l'original de Tchekhov, il lui ressemble tellement. Il est l'autre, son frère jumeau, celui exsangue qui est là sans exister. Il est le perturbateur de certitudes qui désoriente à la fois les personnages dans la fiction et le spectateur dans le réel pour les asseoir dans un siège à dimensions multiples, dans ce trouble des genres et des lieux. La figure spectrale de Platonov force à perforer les murs, creuser dans l'inconnu, à s'engager sur une mer instable et tangible, dans une odyssée complexe, dans les abîmes de personnages perdus au milieu d'un décor qui s'effrite.

Les voix se doublent, la pièce prend une tournure où le texte s'énonce telle une annonce publicitaire, ou une bande-annonce de film, comme pour jouer le jeu du factice, se persuader soi, ou inciter à aller voir plus loin par curiosité. On ne sait plus trop.

Fiction et réalité, désirs et frustrations se fondent ainsi dans une forme de maelström- « eXistenZ » cronenbergien. Dans ces espaces virtuels aux frontières floues entre réel et imaginaire, où sommes-nous ? Parle-ton de vie ou de théâtre ? Le metteur en scène est-il vraiment metteur en scène ou comédien ? Les deux à la fois ? Mon voisin est-il spectateur ? Se projette-t-il dans le corps spectral et presque muet du Platonov sur ce plateau-neuf ? Et puis d'ailleurs, qui est ce Platonov planté devant nous ? 

Pas de vérité une et dogmatique, l'idéal est une impossible chimère. Passé donc par la machine à vérité platonovienne, les comédiens abandonnent chacun à leur tour leur peau-costume et se désarticulent en d'inertes marionnettes, rétrécis dans maison de poupée flinguée. On devient spectateur de l'infiniment petit : comment se réapproprier sa vie, s'approprier les choses dans un monde où, à l'échelle de l'humanité, on n'est au fond propriétaire de rien, seulement locataire pendant les quelques années que nous passons sur terre ?

Platonov est ce locataire. Il n'est pas seulement un personnage fictif, c'est nous et personne en même temps, c'est la pièce entière. Ou plutôt c'est une idée ou un concept.

« Tchekhov First Play » casse les conventions, détruit le corps social et force le comédien à s'affranchir des codes pour se confronter au Platonov réfracteur de lumière, au Platonov boule à facettes, dans un face à face, face à nous-même. Il est le pistolet de chacun.

Reste à savoir si au jeu de la roulette russe, dans le barillet du revolver, la balle marque la fin ou le début ?

Cynthia Brésolin

 

Chekhov’s First Play

Un spectacle de Dead Centre / Irlande
Mise en scène Bush Moukarzel et Ben Kidd

Avec :
Rebecca O' Mara
Liam Carney
Breffni Holahan
Paul Reid
Clara Simpson
Dylan Tighe

Texte Anton Tchekhov, Bush Moukarzelet Ben Kidd
Scénographie Andrew Clancy
Création son Jimmy Eadie assisté de Kevin Gleeson
Lumières Stephen Dodd assisté de Hannah Bowe
Effets spéciaux et décors Grace O’ Hara
Costumes Saileóg O’ Halloran assistée de Ellen Kirk

Création octobre 2015 au Dublin Theatre Festival – Irlande

 

Mis en ligne le 21 octobre 2016