UNE REINE EN EXIL

 

Théâtre du Verbe Fou,

à Avignon, du 21 au 26 juillet à 21h.

Tournée en cours.

 

Une reine en exil loupe 

 

Le Théâtre du Verbe Fou, théâtre littéraire, a eu l'audace de programmer neuf excellents spectacles dans le cadre des Estivades 2020 en Avignon, du 15 au 31 juillet, pour notre plus grand plaisir.

Une reine en exil donc : un spectacle sur une des plus grandes danseuses et chorégraphes du XXème siècle, Pina Bausch, reconnue internationalement, après avoir essuyé tant de critiques parfois acerbes.

Sylvie Pellegri est la Reine, cheveux bruns coiffés en queue de cheval basse, costume noir, neutre, androgyne, assise sur un fauteuil en cuir rouge, avec un air aristocratique, tendre et cruel à la fois, mystérieux et familier, énigmatique et pénétrant.

Une Reine qui a rompu avec les formes conventionnelles de la danse en introduisant le concept de danse-théâtre ; une reine qui a créé une nouvelle forme de ballet dans laquelle les danseurs parlent, crient, interpellent le public.

L'œuvre de Pina Bausch repose sur la tension, l'oscillation permanente entre la banalité et l'exceptionnel, entre tendresse et violence. Sur scène, la chorégraphe entend montrer des personnes dites normales, tout en révélant leur plus profonde intimité, leurs souffrances et leurs combats intérieurs.

Ce spectacle se présente sous la forme d'un monologue. Pina Bausch pense et rêve à voix haute ; elle s'interroge devant nous, elle qui parlait si peu ! Ni théâtre ni danse, mais paroles et mouvements, fantasmatiques éphémères, transparents.

Elle évoque ses souvenirs d'enfance, quand elle tombait amoureuse des puces, des moucherons et aimait leur faiblesse et leur innocence, malgré tout ce que cela comportait de ridicule. Elle nous fait part de ses désillusions et de sa conscience de vivre dans un monde d'épouvante avec un moi étranger qui ne lui ressemble pas. Face à cet étourdissant désastre, "le seul moyen de se raccrocher à la vie est de la rêver !"

Pourquoi représenter ? Que dit-on quand on danse ? Et pourquoi est-ce que je danse ? se demande-t-elle.

Elle raconte sa recherche des gestes du silence pour trouver le fil de sa propre réalité anatomique, ressentir sa propre vérité physique, et atteindre une grâce singulière. Pina Bausch refuse et se révolte même contre l'idée et l'impression de soi-disant grâce des danseurs. C'est la grâce qui doit les choisir et non l'inverse, et permettre alors de surpasser les limites du corps.

Elle a appris à danser la vie, même si cela n'en vaut pas toujours la peine; appris le geste du silence. Elle sait qu'écrire avec le corps, en le laissant danser, la délivre du monde.

« Certaines choses peuvent être dites avec des mots, d'autres avec des mouvements. Mais il y a aussi des moments où les mots nous manquent. Alors commence la danse », nous dit-elle.

Une reine en exil est un très beau spectacle tout en élégance, délicatesse sensibilité. Avec une interprétation subtile, touchante, juste de Sylvie Pellegri.

Une mise en scène sobre et épurée signée Günther Leschnik, qui a fait le choix judicieux d'images d'archives venant de temps en temps ponctuer le jeu de la comédienne. Un texte très fin de Jean-Paul Chabrier, retenu dans son intégralité auquel il a donc décidé de donner toute sa place.

Fabrice Glockner