YAACOBI ET LEIDENTAL

Théâtre de l'Epée de Bois
Route du Champ de Manœuvre
75012 PARIS
01 48 32 47 06
Du 6 au 10 juin 2012 à 21h, dimanche à 18h.

La compagnie La Mandarine Blanche, présente en juin, un florilège de ses spectacles, quatre en tout, dont « Yaacobi et Leidental », pour quelques jours. Hanokh Levin, mort en 1999 était un auteur phare en Israël, son pays d'origine. Mais son théâtre, prolifique et brillant parle à tout le monde : il évoque souvent la vie d'hommes et de femmes ordinaires, comme ici, où deux amis se séparent. L'un, Yaacobi, lassé de ces éternelles parties de domino sur un balcon, décide de planter là son vieux copain Leidental pour vivre sa vie : il rêve d'aventures, … il cherche surtout une femme. La femme. Et il la croise, sous la forme plantureuse d'une passante (remarquable Emmanuelle Rozès) De là, un mariage s'organise et l'ami Leidental, décidément crampon, se propose comme, … cadeau de mariage.

À partir de cette situation biscornue, Levin développe sa farce entrecoupée de chansons (douze en tout) sur des rythmes kletzmer. Et c'est jubilatoire et fort. Il faut voir Yaacobi se répéter qu'il a enfin trouvé « celle qui pleurera derrière son cercueil » ou Leidental demander à Ruth «  J'ai l'air de quelqu'un qui se laisse exploiter ? «  et s'entendre répondre « Oui ! » Les personnages errent dans le décor comme dans la vie. Ils s'enguirlandent, se jalousent, se réconcilient. Les rapports hommes femmes sont bien sûr (avec l'amitié) au centre de la pièce. Levin les voit d'un œil sombre. Selon lui, le mariage, brandi par la femme, est une étape indispensable : avant, elle accepte tout, par ruse, mais après, elle se rattrapera au centuple. D'ailleurs, au départ de son mari, Ruth laisse échapper : « Et dire que je le voyais déjà passer à la caisse ! » Les scènes burlesques abondent, servies, et comment, par le brio des comédiens : côté clown rondouillard pour Yaacobi, sec et inquiet pour Leidental, magnifique jeu corporel façon Castafiore déjantée pour Ruth. Chaque moment est superbe, on se régale des gags, on goûte les propos acides, les dérapages verbaux, les phrases définitives, que ce soit un hymne au frigo, où un éloge des gros popotins. La poitrine est aussi de la partie : « Les seins sont l'opium des enfants, assène Leidental. Adulte, on continue. Libérons-nous de la tyrannie des seins ! »

On pourrait croire que le propos n'est pas sérieux : et pourtant si, il dit des choses sans en avoir l'air, comme cette fin en demi-teinte, ode aux velléitaires de toujours : « Demain, j'achète un piano ! » chante Ruth. Et le chœur de ses deux hommes de répondre : « Jamais tu n'auras de piano ! »

Raphaël Almosni transcende son rôle de Leidental, le triste raté. Jean-Yves Duparc est un Yaacobi parfait. Leur duo rejoint des figures éternelles, celles de Laurel et Hardy, ou encore Vladimir et Estragon. Dans un décor malin limité par un rideau rouge et une piste tournante, apparaissent une rue, un café ou un lit, quand on n'utilise pas avec sobriété, le hors scène. En bref, la mise en scène d'Alain Batis, empruntant au cirque et au cabaret, fonctionne à plein. Le spectacle, qu'il serait dommage de ne pas voir, a déjà glané, de ci de là, une série d'articles enthousiastes. Il n'y avait aucune raison que celui-ci fasse exception !

 

Gérard Noël

 

 

Yaacobi et Leidental

Mise en scène de Alain Batis.
Avec Emmanuelle Rozès, Raphaël Almosni et Jean-Yves Duparc et les musiciens : Louise Chirinian, Alain Karpati, Marc-Henri Lamande.

Scénographie : Sandrine Lamblin.
Lumières : Jean-Louis Martineau.
Création musicale : Cyriaque Bellot.
Costumes et maquillage : Jean-Bernard Scotto.
Régie tournée : Nicolas Gros et Emilie Tramier.