UNE FAILLE

Nouveau Théâtre de Montreuil
Salle Maria Casarès
63, rue Victor Hugo
93100 Montreuil
Tél : 01 48 70 48 90

Jusqu'au 7 juin, lundi, mercredi, vendredi, samedi à 20h30,
mardi et jeudi à 19h30,
relâche mercredi 21, dimanche 25 et jeudi 29 mai

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Mis en ligne le 26 mai 2014

Une faille

Plus de deux ans que cette expérience dure : un spectacle en série  construit sur le modèle des succès télévisés américains en vogue depuis une quinzaine d'années. Un concept inventé par le directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil, Mathieu Bauer : « Une Faille est né du pari d'aviver l'appétit pour le théâtre » dit-il dans sa note d'intention. Peut-être est-ce le héros de 24 heures Chrono, Jack Bauer, son homonyme, qui lui a donné l'envie de copier sur les recettes des télés commerciales pour redonner du souffle à son théâtre ?

Une Faille raconte une histoire inventée qui se déroule à Montreuil, une manière d'honorer le cahier des charges que les directeurs de CDN et autres établissements financés par les subventions publiques doivent respecter.

Dans cette optique, tout a été fait pour combler les attentes des politiques : une histoire qui se déroule localement, qui implique les habitants du coin, une histoire qui se veut sociétale, susceptible de parler de problèmes contemporains, de problèmes qui touchent la population d'électeurs. Ajoutez à cela une histoire élaborée par une auteure d'une inattaquable notoriété intellectuelle, Sophie Maurer (Enseignante à Science Po et romancière, entre autres choses), une histoire écrite également par un duo de scénaristes de Canal +, Hugo Benamozig et Victor Rodenbach (Coscénaristes de Platanes, série avec en tête d'affiche Ramzi), ces deux là créditent le projet de l'estampille « Populaire », pour contrebalancer, je suppose, le dangereux prise de tête de notre intellectuelle des sciences politiques (une condisciple des commanditaires de nos théâtres subventionnés et la boucle est bouclée).

Idée fumeuse et décomplexée d'aller chercher dans le créneau des chaines commerciales les ingrédients capables d'aviver l'appétit pour le théâtre, sachant que ces medias n'ont qu'une seule échelle de valeur pour leurs productions : l'audimat et les annonces publicitaires des plus puissants lobbys économiques. « Il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. » disait Patrick Le Lay, directeur de TF1 et grand théoricien du nouveau théâtre apparemment.

Que dire du spectacle mis en scène par Pauline Bureau : rien. Presque une dizaine d'espaces de jeu sur le plateau comme autant de décors sur un studio de tournage, sans oublier évidemment des projections dignes d'un grand Rex pour tenter de donner une grandeur à ces toutes petites choses.

On passe d'une scène à l'autre dans un montage rapide, des scènes courtes, des dialogues de série, inutiles. Par exemple : dans le bureau d'une juge, la secrétaire entre, pose un dossier : « C'est le dossier Ménard !», puis elle ressort en disant « Bonne soirée madame le juge ! » noir. Bref une mise en scène exécutée comme un montage de film, inspirée elle aussi pour beaucoup par 24 heures Chrono (Une vrai pensum !), système que Pauline Bureau a déjà pratiqué dans ses mises en scène précédente, mais pour Une Faille, cela ne fonctionne pas du tout : ce montage vif, avec cette multitude d'écrans se justifie dans la série qui raconte une suite d'actions simultanées, avec une action principale intense, ce qui n'est pas le cas dans Une Faille. Zéro action, zéro intrigue, zéro tension, cela se traine. Et le travail de Pauline Bureau est ici plus un travail de scénographe que de metteur en scène.

L'esprit du spectateur tente alors de rester en vie en s'amusant des ratages : la rétroprojection directe des scènes filmées en gros plan qui n'est pas synchrone avec la voix des acteurs, comme dans un doublage raté, un scooter qui traverse la scène, décor de rue, dont le moteur s'arrête à peine disparu en coulisse… magie brisée… et on se demande s'il va y avoir une pause publicitaire pour remplir ce temps de cerveau disponible qui dégorge de nos êtres.

Pourtant le spectacle utilise tous les trucs de racolage si précieux pour la télévision : brutalité policière, hôpital, alcoolisme, expulsion, procès pour le côté tragique et sociétal, retrouvailles de vieux amis, guérison d'un malade, amour naissant pour l'émotionnel, cocaïnomane spirituel, cleptomane attachante pour la touche comique, un zeste de sexe, un soupçon de fête du samedi soir, une pincée d'artistique avec ce personnage qui filme les rues désertes dans une quête de sens et de non sens postmoderne et, pour couronner le tout, la dénonciation d'une injustice, d'un secret jalousement gardé par l'État, un massacre perpétré par les forces de l'ordre, pas vraiment à Montreuil, mais pas très loin, un petit cours d'histoire pour donner du fond à cette grande vague divertissante : l'affaire de la station du métro Charonne comme l'intitule Wikipedia, une histoire vraie qui eu lieu en 1962, neuf morts parmi des manifestants contre la guerre d'Algérie, tombés sous les assauts de la police. Tout comme les scénaristes américains, avides de coller à l'actualité, d'être dans le coup, injectent des victimes et des bourreaux de Guantanamo dans la moitié de leurs épisodes : O le message politiquement incorrect  ! Et nos cœurs en révolte se mettent à battre dans nos poitrines populaires, victimes depuis toujours du pouvoir aveugle !

Racolage, racolage, racolage, racolage…

D'autres, avant Mathieu Bauer, ont tenté de rénover le théâtre : Jacques Copeau « Le théâtre fait appel à l'intelligence, au jugement, à la réflexion, à toutes les facultés et les réactions de l'âme par lesquelles le spectateur se distingue du spectacle », Jean Vilar « Le TNP a pour mission de développer une politique de spectacles de qualité, accessibles au plus grand nombre. Du théâtre « élitaire pour tous », et plus près de nous des directeurs comme Chéreau qui avaient une idée du théâtre opposée à toute retape, bien loin de cette succession de scénettes insipides ornementées de dialogues d'une pauvreté de langage à faire bêler un âne.

Le meilleur est pourtant pour la fin : tous nos joyeux personnages se retrouvent à Orly. Un couple part pour Oran sur les traces d'une origine familiale, une femme s'embarque pour l'Afrique, et le duo d'amis retrouvés décolle pour le Brésil, sombrero sur la tête et ukulélé sous le bras en route pour un voyage touristique. (Mais que viennent faire le Mexique et Haïti dans cette pagaille ?)

Ne manque qu'une pub pour Trivago ou le Club Med.

Bruno Fougniès

 

Une faille

Texte et scénario Sophie Maurer, scénario Hugo Benamozig et Victor Rodenbach d'après une idée originale de Mathieu Bauer
Mise en scène Pauline Bureau,

Avec : Joris Avodo, Yann Burlot, Sonia Floire, Christine Gagneux, Matthias Girbig, Christine Pignet, à l'image : Lounès Tazaïrt et la voix de Lila Redouane.

Composition musicale Vincent Hulot,
Collaboration artistique Anne Soisson,
Scénographie Virginie Destiné,
Lumières Bruno Brinas,
Costumes Alice Touvet assistée de Marion Harre,
Vidéo Gaëlle Hausermann assistée de Christophe Touche,
Son Sébastien Villeroy.