SOUS LA GLACE

Théâtre de l’opprimé
78 rue du Charolais
75012 Paris
01 43 40 44 44

Jusqu’au 22 décembre

Du mardi au samedi à 20h30, les dimanches à 17h. 
Relâches les lundis et le mercredi 20 décembre

 

Sous la glace loupe 

Certes, on a déjà entendu des dénonciations des dérives de l’économie libérale, qui gère les ressources supposées humaines à coup d’humiliations violentes et de licenciements brutaux. Ce qu’il y a de plus singulier et de plus intéressant dans la pièce de Falk Richter c’est le lien presque freudien qu’il tisse entre ce monde d’adulte et les complexes nés de l’enfance.

Voici donc Jean Personne, en position fœtale qui, enfant, témoigne de sa souffrance existentielle, de son sentiment de ne pas être reconnu, entendu. Puis le voici adulte, devenu consultant, qui débite avec deux acolytes un discours de management sur un rythme effréné : rentabilité, performance, le business est aussi sourd que le silence de ses parents. Jean Personne crie mais on ne l’entend pas. Il est comme figé sous la glace. Personne ne l’entend. Personne n’entend personne.

En forme de coup de poing, la mise en scène de Vincent Dussart est à l’avenant, jouant de la violence des contrastes. Ses comédiens enfilent et désenfilent leur costume-cravate, ils tombent et se relèvent, avec en fond de décor un très grand ourson en forme de totem au cœur palpitant ou d’idole de papier, tandis que la musique d’accompagnement passe des grincements rock de la guitare électrique au fameux air du génie du froid de Purcell. Les trois comédiens se tiennent dans un face à face frontal devant le public, la scénographie est physique, les jeux de lumières francs. Le résultat est haletant, étouffant, oppressant, parfois irrespirable. Glaçant

Frédéric Manzini

 

Avec une bande-son tonitruante, des fumigènes, nous assistons à l’apparition du personnage principal en slip. S’’ensuit un long monologue sur l’enfance du personnage et la récurrence du thème qui donne son titre à la pièce : sous la glace. Un problème d’auteur en passant : qui parle...et à qui ? Jean Personne, c’est le nom du personnage, se débat en fait pour exister. Si on le rhabille, c’est pour lui donner une chance (illusoire?) de se défendre. Deux consultants, des jeunes loups arrivés à la force du poignet, l’encadrent.

Toute la pièce est en fait un mélange d’évocations de la vie de Jean Personne, et, brouillant temps et lieux, sur la dure société capitaliste et cynique que nous connaissons. En vrac, à 40 ans on n’est plus rien, il faut se battre pour surnager...et encore, en France 40 % du travail est du travail simulé, la démocratie n’est plus que médiatique et surtout... pourquoi ceux qui ont en charge l’économie n’ont-ils pas le pouvoir politique puisque ce sont eux les vrais décideurs ?

Il y a des moments plus légers, parce qu’exagérés, comme cette obsession de tuer les vieux ou encore l’abus de pratique sportive du cadre pour être en permanence au top.

On pense à Vinaver, qui sait si bien explorer les rapports sociaux que crée l’économie. Ici, l’abus d’efficacité « déshumanise » bizarrement le propos de l’auteur et nous le rend moins sensible. On se blinde, pour finir et là où on devrait (pourrait) être sensible à ce qui se passe, on assiste, un peu fasciné, à cette brillante démonstration... intellectuelle. La persistance du « sous la glace » est parfois forcée. Le rapport des trois personnages avec le public est principalement frontal : ils n’ont que peu d’échanges durables entre eux. Même si cela entre dans la logique de l’auteur et de sa démonstration, une certaine frustration demeure. Au-delà de ces quelques réserves sur le texte, l’ensemble est bluffant. Et la référence finale à Guy Debord « nous les hommes ne faisons que déranger le cours des marchandises... » s’imposait.

Pour les éclairages et la musique, rien à redire, ils servent au mieux la pièce et les trois comédiens ont une présence rare. Citons Xavier Czapla, prêtant désarroi et humanité à Jean-Personne. Patrice Gallet est un musicien inspiré, il a de l’énergie et son duo avec Stéphane Szestak fonctionne plutôt bien.

À voir, donc, pour réfléchir face à ce constat... glaçant.

Gérard Noël

 

Sous la glace

De Falk Richter
Traduction : Anne Monfort
Mise en scène : Vincent Dussart 
Scénographie et lumières : Frédéric Cheli
Costumes : Vincent Dussart & Mathilde Buisson
Création sonore & musique live : Patrice Gallet

Avec : Xavier Czapla, Patrice Gallet et Stéphane Szestak

 

Mis en ligne le 9 décembre 2017