LES SOLILOQUES DU PAUVRE

Théâtre de l’Opprimé
78 rue du Charolais
75012 Paris
Tél 01 43 40 44 44

Le jeudi 2 juin 2016 à 20h00

 

loupe 

Ce sont des mots qui cognent, sonnent et saoulent suivant leur humeur. Des phrases qui s’entortillent sur elles-mêmes comme des cotillons et dessinent dans l’air des images, des visions, des tableaux. Des sons âpres, rudes, gutturaux qui racontent l’existence des terriens qui ont foulé les mêmes plages de bitume que nous, il y a plus d’un siècle maintenant… Les soliloques du pauvre s’expriment dans la langue du peuple, une langue qu’on dirait lancée depuis le moyen-âge tellement son verbe paraît tout d’abord inconnu. Mais très vite, l’oreille se fait, le neurone s’accoutume et l’on comprend tout, sans qu’on en connaisse pourtant le vocabulaire, les mots, les élisions et les accents.

Ce texte est un long poème qui n’a pas besoin de sous-titre. Il a été écrit dans le langage parlé populaire de la fin du XIXème siècle par Jehan-Rictus, ami des symbolistes et des surréalistes et grand habitué des rues de Paris et des cabarets de Montmartre. C’est là qu’il commença une carrière de chansonnier-poète. Ce recueil est sa première œuvre imprimée en 1897. Un succès. Il n’en aura pas beaucoup d’autres, trois ou quatre tout au plus.

La langue qui prime dans ce spectacle. L’écriture est extrêmement élaborée sous les haillons d’accent parigot. L’adresse au bourgeois, au politicard est franche, massive, brute. Les peintures de la bouillonnante misère des rues de Paris sont expressives, poignantes, jubilatoires. Mais à travers cette langue qui surprend et émerveille à chaque coin de phrase, surgit également une plaidoirie qui pourrait être dite, avec d’autres mots, aujourd’hui.

La mise en scène de Chloe Jarsky Decoust se calque sur l’intrépidité du langage de ce texte. Pas de chichis. Elle fait entrer le personnage interprété par Igor Oberg de plein pied au milieu des spectateurs comme s’il était naturel que celui-ci surgisse là et se mette à nous parler. Un passant qui vient raconter son histoire, mi-sérieux, mi-amusé. Son habit est sans époque. D’hier, de demain. Du tissu sans marque. Son histoire finalement aussi est sans époque.

À ce solitaire en verve, la metteur en scène a ajouté un autre personnage interprété par Edwige Bourdy. Une sorte de muse, de complice rieuse, d’ange musical qui, sans donner verbalement la réplique, la donne en écoute, en douce moquerie et en chanson très suaves, très cristallines qu’elle accompagne elle-même au piano.

Tout cela fait que l’on sort de ce spectacle comme si l’on tombait d’une sorte de bulle intemporelle, un moment passé au-delà du siècle comme si c’était hier. 

Igor Oberg parvient à donner à son personnage une fragilité touchante, mais surtout il n’exagère à aucun moment cette gouaille dont le texte est totalement tramé. Et quel superbe exercice de diction…

Edwige Bourdy est aussi précise et impliquée dans ses déplacements et ses gestes qu’elle émeut dans son chant et sa musique.

Quant à Jehan-Rictus (bien que cette poésie soit plus à entendre qu’à déchiffrer des yeux…) en voici un extrait :

« Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
les p’tits flaupés, les p’tits foutus
à qui qu’on flanqu’ sur le tutu
les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
qu’a pas d’bécots ni d’suc’s de pomme,
mais qu’a l’jus d’triqu’ pour sirop d’gomme
et qui pass’nt de beigne à tabac.

Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
qu’il faut ben que l’on esstermine.

Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
des p’tits choyés, des p’tits bouffis
qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
dans d’ la soye ou dans du velours
et sur qui veill’nt deux sentinelles :
Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour. »

Bruno Fougniès

 

Les Soliloques du pauvre

Texte de Jehan-Rictus

Mise en espace : Chloe Jarsky Decoust

Avec Igor Oberg et Edwige Bourdy

Les soliloques du pauvre sont programmés dans le cadre du Festival Migr’Actions 15/16 du Théâtre de l’Opprimé

 

Mis en ligne le 17 mai 2016